Plongée au cœur du microbiote

Un microbiote correspond à l’ensemble des micro-organismes – bactéries, archées, virus, parasites et champignons non pathogènes, dits commensaux – qui vivent dans un environnement spécifique.

Il en existe plusieurs au sein de l’organisme, au niveau : du tube digestif (surtout l’intestin, mais aussi la cavité oropharyngée), de la peau, des poumons, du vagin, et même du nombril…

Pour ce qui est du microbiote intestinal, celui-ci est principalement localisé dans l’intestin grêle et le côlon, réparti entre la lumière du tube digestif et le biofilm protecteur formé par le mucus intestinal qui recouvre sa paroi intérieure.

 

À chacun son microbiote

À l’instar de l’empreinte digitale, le microbiote intestinal est propre à chaque individu, qualitativement et quantitativement.

Parmi les 160 espèces de bactéries que comporte en moyenne le microbiote d’un individu sain, seule la moitié est communément retrouvée d’un individu à l’autre. Il existerait cependant un socle commun de 15 à 20 espèces présentes chez tous les êtres humains, en charge de fonctions essentielles. Les virus qui infectent les bactéries (bactériophages) sont aussi très nombreux au sein du microbiote. Ils peuvent modifier les populations bactériennes, leur patrimoine génétique et l’expression de ce dernier. Ainsi, le « virome » constitue-t-il sans doute une autre pièce dans le puzzle de la physiopathologie propre au microbiote intestinal, tout comme le microbiote fongique qui regroupe levures et champignons. Autant de sujets d’étude qu’il reste à explorer.

 

Un écosystème unique formé dès la naissance

Le développement en bonne santé d’un enfant est sous la dépendance directe de son microbiote. On estime aujourd’hui que celui de la mère joue un rôle déterminant dans le développement fœtal.

Le microbiote d’un individu se constitue progressivement, d’abord au contact de la flore vaginale et fécale après un accouchement par voie basse, ou à celui des micro-organismes de l’environnement en cas de naissance par césarienne.

La colonisation bactérienne a lieu graduellement, et se déroule dans un ordre bien précis : les premières bactéries intestinales ont besoin d’oxygène pour se multiplier (bactéries aérobies : entérocoques, staphylocoques…). En consommant l’oxygène présent dans l’intestin, elles favorisent ensuite l’implantation de bactéries qui ne prolifèrent justement qu’en l’absence de ce gaz (bactéries anaérobies : Bacteroides, Clostridium, Bifidobacterium…).

La composition du microbiote intestinal va ensuite évoluer qualitativement et quantitativement, pendant les premières années de vie, sous l’influence de la diversification alimentaire, de la génétique, du niveau d’hygiène, des traitements médicaux reçus et de l’environnement. Cette composition reste ensuite assez stable.

La fluctuation des hormones sexuelles – testostérone et estrogènes – peut aussi avoir un impact plus ou moins durable sur la composition du microbiote intestinal, tout comme certains évènements : maladies, traitements médicaux, modifications de l’hygiène de vie ou de l’alimentation.

 

Les multiples rôles du microbiote

Le microbiote intestinal assure son propre métabolisme en puisant dans nos aliments. Dans le même temps, les micro-organismes qui le constituent jouent un rôle direct dans la digestion :

Ils assurent la fermentation des substrats et des résidus alimentaires non digestibles,

Ils facilitent l’assimilation des nutriments grâce à un ensemble d’enzymes dont les cellules humaines sont dépourvues,

Ils assurent l’hydrolyse de l’amidon, de la cellulose, des polysaccharides…

Ils participent à la synthèse de certaines vitamines (vitamine K, certaines vitamines B) et de trois acides aminés essentiels : la valine, la leucine et l’isoleucine,

Ils régulent plusieurs voies métaboliques : absorption des acides gras, du calcium, du magnésium…

Des animaux élevés sans microbiote (dits axéniques) ont des besoins énergétiques supérieurs de 20 à 30 % à ceux d’un animal normal, tandis que la motricité de leur tube digestif est ralentie. De plus, la différenciation des cellules de la paroi intestinale de ces derniers est inachevée, tandis que le réseau sanguin qui l’irrigue et le réseau local de cellules immunitaires sont moins denses que chez les animaux pourvus d’un microbiote intestinal. Or, ce système vasculaire a un rôle déterminant pour le métabolisme nutritionnel et hormonal, ainsi que pour l’arrimage de cellules immunitaires au sein de la paroi intestinale. Enfin, le microbiote intestinal participe pleinement au fonctionnement du système immunitaire intestinal, indispensable au rôle barrière de la paroi intestinale.

 

De l’eubiose à la dysbiose

L’étude du microbiote intestinal est récemment devenue centrale pour la recherche médicale. S’il est probable qu’il constitue un biomarqueur qui reflète différents états de santé, il est également important d’appréhender l’aspect symbiotique qui existe entre ce microbiote et l’organisme. Ainsi, si certaines maladies sont secondaires à une dysbiose, il semble évident que cette dernière peut être causée par certains évènements de santé. Ces relations bidirectionnelles, pour l’heure à peine décrites, doivent continuer à être explorées afin de pouvoir mieux établir le sens des liens qui existent entre dysbiose et maladies.

Des études en cours se concentrent en outre spécifiquement sur les métabolites produits par le microbiote, car ils représentent un vecteur important de ses effets sur l’hôte. En effet, les déséquilibres microbiens (à l’origine et/ou secondaires à une maladie) peuvent se traduire par des concentrations inhabituelles de certains de ces composés, avec des conséquences sur la santé. Les découvertes réalisées dans ce domaine ouvrent la voie à une nouvelle approche thérapeutique, celle des postbiotiques, qui consiste à apporter directement à l’organisme des métabolites bénéfiques, habituellement produits par les micro-organismes intestinaux.

 

Maladies intestinales : un lien évident

Les maladies inflammatoires chroniques de l’intestin, ou MICI, sont liées à une activation inappropriée du système immunitaire dans l’intestin. Le rôle du microbiote a été suspecté devant l’amélioration des symptômes de patients sous traitement antibiotique, ou encore en raison de la disparition de lésions inflammatoires intestinales chez des personnes dont la paroi intestinale n’est plus au contact des fèces (à la suite de la mise en place d’une dérivation fécale). Ceci s’explique probablement par le rôle des bactéries intestinales et leurs métabolites dans l’équilibre de la réponse immunitaire locale.

De plus, des dysbioses associées aux MICI ont été décrites, caractérisées par un déficit en certaines bactéries. On pense que ces déséquilibres sont à la fois une cause et une conséquence de la maladie : la dysbiose apparaîtrait sous l’influence de facteurs génétiques et environnementaux, mais jouerait elle-même un rôle dans le démarrage, le maintien ou la sévérité de l’inflammation, engendrant un cercle vicieux.

 

Dysbiose, métabolisme et maladies cardiovasculaires

Les maladies cardio et cérébrovasculaires (athérosclérose, hypertension, AVC…) et cardiométaboliques (obésité, diabète) ont une origine multifactorielle, à la fois génétique, nutritionnelle et environnementale. Il apparaît de plus en plus clairement que le microbiote intestinal joue un rôle dans leur genèse. Plusieurs mécanismes pourraient être en jeu. Dans le diabète et l’obésité, il existe une inflammation chronique, favorisée par l’augmentation des graisses dans l’alimentation. Ces dernières augmentent la proportion des bactéries à Gram négatif dans l’intestin, et donc le taux local de lipopolysaccharide (LPS) inflammatoire. Le LPS est ensuite capable de passer dans la circulation sanguine, le foie, les tissus adipeux, musculaires… où il favorise l’installation d’une inflammation chronique à bas bruit. Celle-ci va à son tour favoriser l’apparition d’une insulinorésistance, préalable au diabète et à l’obésité.

D’autres mécanismes qui impliquent le microbiote jouent probablement aussi un rôle : l’augmentation de la perméabilité de la paroi intestinale pourrait laisser passer des bactéries entières. Leur implantation durable au niveau des tissus adipeux, musculaires et hépatiques participerait alors au maintien de l’inflammation in situ. Enfin, certains métabolites bactériens auraient un rôle déterminant dans le développement de maladies cardiométaboliques comme le diabète de type 2, l’athérosclérose ou l’hypertension artérielle.

 

Vers des traitements individualisés

L’idée est aujourd’hui de développer des stratégies personnalisées, dans lesquelles l’apport de prébiotiques (substances facilitant la multiplication des probiotiques), probiotiques (micro-organismes ingérés vivants ayant un effet bénéfique sur la santé), symbiotiques (bactéries vivant en symbiose) ou postbiotiques (molécules synthétisées par les microbiotes) serait adapté aux spécificités individuelles du patient. À plus long terme, le même type d’approche pourrait être développé afin de prévenir la survenue de ces maladies.

Par ailleurs, des essais de transplantation fécale ont été conduits chez des patients obèses ou atteints de syndrome métabolique : certains paramètres biologiques ont évolué favorablement mais l’ampleur de l’effet reste pour l’heure très modeste. Les études se poursuivent.

 

Microbiote et troubles psychiatriques

La schizophrénie, l’anxiété et la dépression ou encore les troubles bipolaires pourraient aussi être concernées par des modifications de la composition du microbiote. Le microbiote ne serait cependant qu’un parmi de nombreux autres facteurs – génétique, épigénétique, environnementaux, psychologiques… – à jouer un rôle déterminant dans le déclenchement de ces maladies.

Des études préliminaires ont montré que l’administration de certains probiotiques permet d’améliorer les symptômes d’anxiété ou de dépression chez des personnes malades ; d’autres ont montré que l’adaptation du régime alimentaire pouvait améliorer le déclin cognitif.