Médicaments sous surveillance : révélations de Prescrire sur les traitements à éviter en 2024.

La revue Prescrire a récemment publié son bilan annuel des médicaments à éviter pour 2024, un rapport crucial pour les professionnels de santé.

Ce bilan met en lumière des médicaments commercialisés en France, dont les effets indésirables problématiques l’emportent sur les bénéfices escomptés.

Parmi eux, on retrouve une diversité de médicaments à écarter pour des raisons de sécurité. En cancérologie, des traitements comme le vandétanib (Caprelsa°) et la vinflunine (Javlor°) sont mentionnés. Pour la cardiologie, des médicaments comme le bézafibrate (Befizal°) et la dronédarone (Multaq°) figurent sur la liste. En dermatologie, outre le finastéride 1 mg, la méquitazine (Primalan°) est également citée. En diabétologie, les gliptines comme la sitagliptine (Januvia°) sont soulignées.

Comment Prescrire parvient-il à dresser cette liste noire controversée ? Quelle méthodologie est employée ? Comment Prescrire maintient-il son intégrité et résiste-t-elle aux pressions de l’industrie pharmaceutique ?  Ces questions sont au cœur de notre discussion avec Mme Carré-Pétraud, directrice éditoriale de Prescrire.

Dans notre interview exclusive avec Séverine Carré-Pétraud, directrice éditoriale de Prescrire, nous plongeons au cœur de ces préoccupations. Nous explorons comment la liste est constituée, la rigueur des enquêtes menées par Prescrire et l’impact de ces bilans sur les décisions thérapeutiques.

Thomas Kassab : Pourriez-vous nous parler de votre parcours et de votre rôle à la tête de Prescrire ?

Séverine Carré-Pétraud : Je suis docteur en pharmacie et en tant que directrice éditoriale de Prescrire, mon rôle est de veiller à la qualité et à l’indépendance de notre contenu. Nous nous efforçons de fournir aux professionnels de santé des informations fiables et non influencées par l’industrie pharmaceutique.

Thomas Kassab : Quel est le cœur de la mission de Prescrire et comment définiriez-vous votre philosophie éditoriale ?

Séverine Carré-Pétraud : La mission centrale de Prescrire est d’éclairer les professionnels de santé avec des informations fiables et indépendantes, afin d’améliorer la qualité des soins. Notre objectif est de fournir des analyses critiques et détaillées sur une vaste gamme de médicaments autorisés dans l’Union européenne et de pratiques médicales. En scrutant minutieusement les dernières recherches et études scientifiques, nous évaluons de manière exhaustive les bénéfices et les risques des différents traitements.

Notre philosophie éditoriale repose sur trois piliers principaux : indépendance, rigueur scientifique et pertinence clinique. En termes d’indépendance, nous ne recevons aucun financement de l’industrie pharmaceutique ou d’autres sources susceptibles de compromettre notre objectivité. Nous sommes uniquement financés par les abonnés à Prescrire.

« Notre indépendance financière est notre bouclier. Nous sommes financés uniquement par nos abonnés, ce qui nous met à l’abri des influences externes. »

Cette autonomie financière nous permet d’analyser et de rapporter les faits sans conflits d’intérêts, garantissant ainsi l’intégrité et la crédibilité de notre contenu. Quant à la rigueur scientifique, elle est au cœur de tout ce que nous faisons. Chaque article, texte ou synthèse que nous publions est le résultat d’un examen approfondi des données disponibles, effectué par notre équipe de rédacteurs spécialisés et expérimentés. Nous nous engageons à utiliser des méthodes d’évaluation et d’analyse robustes et reproductibles, en veillant à ce que nos conclusions soient basées sur des preuves solides.

Enfin, la pertinence clinique guide notre travail éditorial. Nous nous efforçons de rendre nos informations non seulement précises et fiables, mais aussi pratiques et applicables dans un contexte clinique réel. Notre but est d’aider les professionnels de santé à prendre des décisions éclairées qui bénéficient directement à leurs patients, en leur fournissant des informations claires, concises et directement applicables à leur pratique quotidienne.

Thomas Kassab : Prescrire a récemment critiqué certaines positions du Comité européen de pharmacovigilance, notamment en ce qui concerne la pseudoéphédrine. Pourquoi ces critiques ?

Séverine Carré-Pétraud : En effet, nous avons exprimé des réserves sur les recommandations du comité concernant la pseudoéphédrine. Notre préoccupation principale réside dans le fait que la pseudoéphédrine, un vasoconstricteur présent dans de nombreux médicaments contre le rhume, est associée à des risques cardiovasculaires et neurologiques graves, notamment des crises hypertensives, des troubles du rythme cardiaque et des accidents vasculaires cérébraux.

Nous estimons que les recommandations actuelles du comité de pharmacovigilance ne reflètent pas adéquatement ces risques. Alors que le comité suggère de simples ajustements ou des mises en garde, nous plaidons pour une approche plus rigoureuse. Au vu des risques et de la situation clinique bénigne, des mesures plus strictes telles qu’un retrait du marché seraient plus appropriées pour garantir la sécurité des patients.

Par exemple, dans le cas de la pseudoéphédrine, nous constatons que les risques, particulièrement pour des affections bénignes comme le rhume, l’emportent sur les bénéfices potentiels. Notre recommandation est donc de privilégier des alternatives plus sûres, qui n’exposent pas les patients à de tels risques, surtout pour un symptôme aussi courant  que le rhume et d’évolution spontanément favorable.

Thomas Kassab : Comment Prescrire gère-t-il les pressions de l’industrie pharmaceutique ou d’autres groupes d’intérêts ?

Séverine Carré-Pétraud : Notre indépendance financière est effectivement notre principal bouclier contre les pressions externes. Étant financés exclusivement par nos abonnés, nous ne subissons pas l’influence de l’industrie pharmaceutique ou d’autres entités commerciales. Cette autonomie nous permet d’examiner les produits pharmaceutiques avec impartialité, sans craindre des répercussions économiques potentielles.

Lorsque nous publions des critiques ou des évaluations qui peuvent aller à l’encontre des intérêts de ces industries, nous sommes conscients que cela peut susciter des réactions. Nous publions ces retours et y répondons de manière argumentée. Cela renforce notre engagement envers une communication ouverte et transparente avec nos lecteurs. Nous croyons fermement que cette transparence est essentielle pour maintenir la confiance et la crédibilité auprès de notre public. De plus, notre équipe éditoriale adhère à des principes éthiques stricts et à des protocoles de rédaction collectifs rigoureux. Nous veillons à ce que nos analyses soient basées sur des données scientifiques solides et elles sont évaluées par des pairs, renforçant ainsi la robustesse de notre contenu face à toute critique.

Thomas Kassab : Nous entendons régulièrement parler de votre « liste noire ». Comment est-elle élaborée ?

Séverine Carré-Pétraud : Notre bilan des médicaments à écarter est le fruit d’un travail rigoureux et approfondi. Il est élaboré à partir d’évaluations systématiques et détaillées des médicaments, conduites par nos rédacteurs spécialisés. Ces évaluations s’appuient sur une analyse complète des études cliniques, des données de pharmacovigilance, et des rapports scientifiques disponibles. Nous adoptons une méthodologie rigoureuse pour examiner non seulement l’efficacité des médicaments, mais aussi leurs profils de risques.

Notre objectif est d’identifier les médicaments dont les effets indésirables  connus ou clairement établis l’emportent sur les bénéfices ou ceux dont l’efficacité est insuffisamment démontrée par rapport aux alternatives existantes. Les critères incluent, entre autres, l’efficacité comparée à d’autres traitements disponibles, la gravité et la fréquence des effets indésirables, ainsi que les données issues de la pharmacovigilance. Nous prenons également en compte les mises en garde des agences de santé et les retraits de médicaments du marché dans d’autres pays.

Lorsqu’un médicament est identifié comme présentant une balance bénéfices-risques défavorable, ou comme étant inférieure aux options thérapeutiques existantes, il est candidat à figurer dans notre bilan. Cette démarche vise à informer les professionnels de santé, afin qu’ils puissent orienter leurs choix vers des traitements plus sûrs et efficaces pour leurs patients.

Thomas Kassab : Quel conseil donneriez-vous à nos lecteurs pharmaciens ?

Séverine Carré-Pétraud : Mon conseil aux pharmaciens officinaux serait de cultiver un esprit critique et une curiosité scientifique constante. La pharmacie, en tant que profession, est en perpétuelle évolution, marquée par l’introduction rapide de nouveaux médicaments, les changements réglementaires, et les avancées dans la compréhension des maladies. Il est donc crucial de rester informé et à jour sur ces développements. Je recommande vivement de s’appuyer sur des sources d’information vérifiées et indépendantes. L’expertise des pharmaciens ne se limite pas à la dispensation de médicaments ; elle inclut également le conseil aux patients, l’attention aux effets indésirables et aux interactions médicamenteuses, et le soutien à l’observance des traitements le cas échéant.

« Votre rôle en tant que pharmacien est essentiel, et une information rigoureuse est la clé pour exercer ce rôle avec efficacité et responsabilité. Restez toujours à l’écoute, informés, et engagés dans votre mission de soignants. »

En outre, je soulignerais l’importance de la communication avec les autres professionnels de santé. Une collaboration efficace avec les médecins, les infirmiers et les autres spécialistes est essentielle pour garantir une prise en charge optimale des patients. Cela implique parfois de questionner et de discuter des prescriptions pour assurer leur pertinence et leur sécurité. Enfin, je conseillerais d’adopter une approche centrée sur le patient. Cela signifie comprendre non seulement les aspects médicaux de leur traitement, mais aussi leurs préoccupations personnelles, leurs circonstances de vie et leurs besoins spécifiques.