Médicaments génériques : 25 ans de substitution, entre défis et perspectives

L’essor des médicaments génériques : une réponse aux défis économiques et d’accessibilité

Les médicaments génériques ne datent pas d’hier. Ils sont apparus dans les années 1960 aux États-Unis, portés par la Food and Drug Administration (FDA), avec l’objectif de proposer des alternatives thérapeutiques moins coûteuses après l’expiration des brevets des médicaments originaux. Ces médicaments, ayant la même composition en principes actifs et une efficacité thérapeutique équivalente, permettent d’accéder à des traitements à des prix réduits tout en garantissant leur qualité.

En France, c’est à la fin des années 1990 que les génériques ont fait l’objet d’un véritable débat public. À cette époque, les médicaments princeps étaient protégés par des brevets pendant une durée de 20 ans, ce qui limitait la concurrence et maintenait des prix élevés. En permettant aux laboratoires de produire des versions génériques une fois ces brevets expirés, on visait à réduire les dépenses de santé. La substitution par les pharmaciens permettait ainsi d’offrir des alternatives économiques aux patients, tout en assurant la même efficacité thérapeutique.

Accroître l’accessibilité aux traitements était un autre objectif clé. En rendant les génériques disponibles à un prix inférieur de 60 % par rapport au princeps, l’intention était d’élargir l’accès aux soins, particulièrement pour les populations fragiles ou celles ayant des traitements chroniques de longue durée. La France était, à l’époque, en retard par rapport à d’autres pays européens qui avaient déjà largement adopté les génériques dans leur système de santé. Par exemple, l’Allemagne, dès les années 1980, avait instauré des mesures favorisant le remboursement prioritaire des génériques, permettant ainsi de réduire significativement les dépenses publiques de santé. Le Royaume-Uni, quant à lui, avait mis en place des incitations financières pour encourager les médecins généralistes à prescrire des génériques, et cette politique avait rapidement porté ses fruits. Aux Pays-Bas, depuis 1991, la substitution de génériques était courante grâce à une législation bien structurée. Ces pays ont montré les bénéfices économiques tangibles des génériques, notamment pour contenir les dépenses de santé publique.

C’est dans ce contexte qu’en 1999, sous l’impulsion du gouvernement de Lionel Jospin et avec Martine Aubry, ministre de l’Emploi et de la Solidarité, la France a introduit le droit de substitution des médicaments génériques. Inscrite dans la loi de financement de la Sécurité sociale, cette mesure visait principalement à répondre à des enjeux économiques européens et à maîtriser le déficit de la Sécurité sociale. Désormais, le pharmacien pouvait substituer un médicament générique à un médicament princeps, sauf mention expresse « non substituable » par le médecin, une mention qui a d’ailleurs évolué depuis. Comme l’a souligné Grégory Moses lors de notre entretien, « le rôle clé du pharmacien dans la substitution des médicaments est essentiel ». Il a rappelé que « depuis le droit de substitution accordé aux pharmaciens, le 12 juin 1999, cette pratique est devenue une composante incontournable de notre système de santé. » Aujourd’hui, près d’un milliard d’unités de médicaments génériques sont délivrées chaque année en France. Gregory Moses, directeur de l’unité pharmacie de Viatris France, ajoute que « chez Viatris Santé, nous comptons plus de 450 molécules dans notre catalogue, dont de nombreux médicaments d’intérêt thérapeutique majeur. Les génériques sont véritablement au cœur de la prise en charge quotidienne des patients. » Cette mesure, en permettant de contrôler les dépenses et d’améliorer l’accès aux soins, répondait également à la volonté de s’aligner sur les pratiques européennes en matière de génériques.

Protection des données : le système 8+2+1

Un brevet est généralement accordé pour 20 ans à partir de la date de dépôt, comme mentionné plus haut. Pendant cette période, le titulaire du brevet a l’exclusivité sur la fabrication et la vente de la molécule protégée.

Ainsi, même après l’expiration du brevet, il existe une protection spécifique liée aux données cliniques soumises pour obtenir l’autorisation d’AMM du médicament princeps. Il y a un système appelé « 8+2+1 » qui régit cette protection :

huit ans d’exclusivité des données durant lesquels aucun générique ne peut utiliser les données cliniques du princeps pour demander une AMM.

deux années supplémentaires d’exclusivité commerciale : après ces huit ans, un laboratoire peut soumettre une demande d’AMM pour un générique, mais il ne pourra pas commercialiser le produit avant deux années supplémentaires, soit au bout de dix ans au total.

une année supplémentaire peut être accordée si, au cours des huit premières années, le titulaire du princeps obtient une autorisation pour une nouvelle indication thérapeutique jugée significative par l’EMA.

En pratique, un médicament générique ne peut donc généralement être commercialisé qu’après une période de dix ans à compter de la première AMM du médicament princeps, et non après cinq ans.

Entre maîtrise des prix et menaces sur l’approvisionnement

Le CEPS : Comité Économique des Produits de Santé

Le CEPS impose régulièrement des baisses de prix sur les médicaments, y compris les génériques, afin de répondre aux exigences budgétaires de la Sécurité sociale. En général, un générique voit son prix fixé à au moins 60 % du prix du princeps lors de son lancement, mais ce tarif peut ensuite être révisé à la baisse dans les années qui suivent. Vincent Pont, président du Laboratoire Arrow, explique ce processus : « à l’approche de l’échéance du brevet d’un médicament, nous soumettons une demande de prix au CEPS. Celui-ci fixe ensuite une décote, souvent de 60 %. Dans certains cas, si la rentabilité est compromise, des discussions peuvent avoir lieu pour ajuster cette décote. Cependant, cela n’est pas la norme. » Les baisses semestrielles sont également discutées avec le CEPS, en collaboration avec les syndicats de pharmaciens et d’autres acteurs du secteur. Ces baisses de prix visent à maintenir un équilibre entre la rentabilité des laboratoires et la soutenabilité pour le système de santé. Cependant, comme le souligne Vincent Pont, « la baisse des prix est un processus incontournable, mais elle peut parfois poser des défis économiques pour les laboratoires de génériques. »

Le GEMME : Générique Même Médicament

Le GEMME, association représentant les génériqueurs en France, s’implique activement dans les discussions avec le CEPS concernant la fixation des prix des médicaments génériques. Il défend les intérêts des fabricants de génériques en soulignant les enjeux économiques liés à la production, notamment en termes de coûts, de contraintes réglementaires, et de pérennité de l’offre. Ces dernières années, le GEMME a alerté sur les effets néfastes des baisses tarifaires répétées, qui fragilisent la viabilité des laboratoires, réduisant parfois leur rentabilité au point de provoquer des pénuries. Une étude de 2023 a montré que les prix de certains médicaments essentiels en France étaient 15 à 30 % inférieurs à ceux de leurs équivalents européens, 56 % d’entre eux étant proposés à moins de 1 €. En réponse, le GEMME milite pour un plafonnement de la clause de sauvegarde à 500 millions d’euros sur trois ans, ainsi que pour une revalorisation des prix des médicaments générant des économies, pour assurer la pérennité de l’industrie et de l’approvisionnement en médicaments essentiels dans l’Hexagone.

Conséquences des baisses de prix

Les baisses successives de prix, souvent imposées par les pouvoirs publics, ont des conséquences directes sur la rentabilité des laboratoires de génériques et l’économie des pharmacies d’officine. Les marges réalisées sur les génériques sont souvent plus faibles que sur les médicaments princeps, ce qui pose des défis en matière de maintien de la production et de l’approvisionnement continu. Grégory Moses, directeur de l’unité pharmacie de Viatris France, souligne l’importance de cette question : « Nous sommes effectivement sous contrainte économique, et les médicaments génériques jouent un rôle essentiel dans l’équilibre de notre système de santé. La substitution permet aux officines de développer leur chiffre d’affaires tout en générant des économies pour l’Assurance maladie. Cependant, la question qui se pose aujourd’hui est celle du juste prix des médicaments par rapport à leur accessibilité et par rapport aux médicaments innovants. »

Il est certain que les baisses tarifaires répétées rendent parfois la production de génériques non viable. Comme l’explique le directeur de l’unité pharmacie de Viatris France : « nous ne pouvons plus continuer à proposer des prix aussi bas. Prenons l’exemple de l’amoxicilline : un flacon coûte actuellement 76 centimes. Or, avec l’augmentation des coûts de fabrication, ce prix ne couvre même plus les coûts de production. Il se pose donc un problème de viabilité. Si les prix ne permettent pas de compenser les coûts, cela accentue effectivement les risques de tensions d’approvisionnement. » Cette réalité économique affecte non seulement les laboratoires mais aussi les pharmacies, particulièrement dans les petites structures rurales, où les baisses de prix réduisent considérablement les marges bénéficiaires.

Face à ces enjeux, les laboratoires appellent à une révision des prix des médicaments génériques, afin qu’ils reflètent mieux les réalités économiques actuelles et garantissent la pérennité de l’offre. « Il est également important de donner de la visibilité et de la stabilité sur le prix des médicaments génériques. En effet, créer une nouvelle chaîne de fabrication requiert des années d’investissement », rappelle Grégory Moses. Malgré ces difficultés, les laboratoires restent engagés pour assurer l’approvisionnement en médicaments essentiels, car, comme il le conclut, « notre priorité reste de soigner les patients ».

Le défi de la clause de sauvegarde

Dans un contexte où les médicaments génériques sont au cœur des économies de santé, les défis financiers auxquels sont confrontés les laboratoires se font de plus en plus pressants. Vincent Pont, président du Laboratoire Arrow, explique que les « baisses de prix sont indissociables du principe même des génériques, qui sont là pour faire réaliser des économies au système de santé ». Toutefois, il met en garde contre l’impact de la clause de sauvegarde, une taxe imposée dès lors que les dépenses de santé dépassent un seuil défini dans la LFSS. Cette taxe, appliquée uniformément à tous les laboratoires, affecte particulièrement les génériqueurs, dont « la rentabilité est plus faible que les autres laboratoires pharmaceutiques ». Les pénalités infligées pour les ruptures de stock ou les niveaux de stock insuffisants posent également un problème, menaçant de fragiliser encore davantage ce modèle économique. Selon lui, des montants « pouvant atteindre 50 % du chiffre d’affaires d’un produit » pourraient ainsi contraindre des laboratoires à abandonner certains médicaments, avec pour conséquence directe « d’aggraver le risque de pénuries ».

Divergences de prix des génériques en Europe

Une Europe, des écarts

Les écarts de prix des médicaments génériques entre les différents pays européens s’expliquent en grande partie par les divergences dans les politiques de régulation des prix adoptées par chaque État. Grégory Moses, directeur de l’unité pharmacie de Viatris France, souligne que « les autorités de santé dans chaque pays d’Europe n’adoptent pas les mêmes politiques de prix pour les médicaments. Chaque pays a sa propre approche en matière de régulation des prix, ce qui crée des disparités significatives d’un marché à l’autre. » En France, par exemple, le prix des médicaments génériques est administré, c’est-à-dire fixé directement par les autorités de santé, notamment par le CEPS. En revanche, certains pays comme les Pays-Bas et l’Allemagne utilisent un système d’appels d’offres, où les laboratoires soumettent des propositions de prix pour obtenir le marché, ce qui peut créer des fluctuations importantes. Vincent Pont, président du Laboratoire Arrow, explique que « d’autres ont un prix plus libre ou sont encore dans des systèmes de prescription de marques. Cette variabilité rend difficile l’établissement d’un prix réel une fois que les remises sont prises en compte, car chaque pays a sa propre manière de négocier les prix. » Ce manque d’homogénéité dans les méthodes de fixation des prix peut également entraîner des tensions d’approvisionnement lorsque les prix ne permettent pas de couvrir les coûts de production, comme on l’observe parfois en France avec des médicaments essentiels comme l’amoxicilline.

Grégory Moses insiste également sur l’importance d’une réponse à l’échelle européenne pour traiter ces disparités et prévenir les pénuries : « La réponse à ces défis ne peut être purement nationale, elle doit être pensée à l’échelle européenne et mondiale. C’est pourquoi l’initiative Critical Medicines Alliance a vu le jour au niveau européen. » Cette alliance réunit les industriels du secteur pour travailler ensemble sur des solutions visant à sécuriser l’approvisionnement en médicaments à travers l’Europe. Le travail collaboratif à cette échelle est essentiel pour « garantir un accès stable et équitable aux médicaments, tout en atténuant les écarts de prix et en prévenant les pénuries », conclut-il.

Divergences de prix : ruptures à la clé ?

Les écarts de prix et de remises entre pays européens ne sont pas le principal facteur des pénuries de médicaments en France. Vincent Pont rejette également cette hypothèse : « Non, ces écarts de prix et de remises ne sont pas des facteurs majeurs expliquant les pénuries. Les pénuries ne sont pas propres à la France, elles existent dans de nombreux pays européens et même aux États-Unis. » En réalité, les causes des pénuries sont multifactorielles, combinant des éléments structurels et conjoncturels. Grégory Moses, directeur de l’unité pharmacie de Viatris France, précise : « Il y a plusieurs axes de réponse pour aborder la question des pénuries, qui sont un phénomène mondial et concernent tous types de médicaments, princeps comme génériques. Les pénuries sont multifactorielles et combinent des causes structurelles et conjoncturelles. » Les pénuries peuvent également être causées par des inspections sur les sites de production ou des problèmes de conformité, voire par la recherche d’impuretés lors des études de stabilité de routine sur les produits. « C’est donc une combinaison de facteurs qui explique ces pénuries », conclut le président du Laboratoire Arrow, rappelant que la solution ne saurait se limiter à une révision des politiques tarifaires.

Causes structurelles

D’une part, le vieillissement de la population mondiale augmente la demande en médicaments, car une population vieillissante nécessite davantage de traitements. En outre, l’expansion des capacités de fabrication des médicaments est un processus long et complexe. Les réglementations, bien qu’essentielles pour garantir la sécurité, limitent la flexibilité des chaînes de production. De plus, la concentration des chaînes de fabrication sur un nombre limité de sites rend ces chaînes vulnérables à toute perturbation. Comme l’explique Grégory Moses, « la production de nombreux médicaments est concentrée dans un nombre limité de sites, ce qui rend les chaînes d’approvisionnement vulnérables ».

Causes conjoncturelles

D’autre part, plusieurs causes conjoncturelles amplifient ces pénuries. Les délais d’approvisionnement sont allongés par des facteurs logistiques, tels que les retards de transport ou les tensions géopolitiques. De plus, l’augmentation des coûts de fabrication (notamment pour les matières premières et l’énergie) pèse lourdement sur les laboratoires, sans compter les « contraintes industrielles, comme le temps nécessaire pour recruter et former les équipes, qui pèsent également » rajoute Vincent Pont. Paradoxalement, alors que ces coûts augmentent, les baisses successives des prix des médicaments génériques rendent leur production de moins en moins rentable, ce qui peut également contribuer aux pénuries. Le directeur de l’unité pharmacie de Viatris France note que, « tandis que les coûts augmentent, les prix des génériques continuent de baisser, rendant difficile la rentabilité de leur production ».

Solutions envisagées

Face aux défis des pénuries, les laboratoires de génériques comme Arrow mettent en œuvre diverses stratégies pour limiter les interruptions d’approvisionnement. « Nous essayons d’avoir plusieurs sources d’approvisionnement pour un même principe actif », explique Vincent Pont, ajoutant que cela permet une réactivité accrue en cas de défaillance d’un fournisseur. Par ailleurs, pour certains produits essentiels, « plusieurs sites de production sont enregistrés », bien que leur validation par les autorités réglementaires demande du temps. L’optimisation de la gestion des stocks fait également partie de la réponse : la production est planifiée des mois, voire une année à l’avance, avec un délai entre quatre et dix mois entre la commande et la livraison d’un lot. Grégory Moses, directeur de l’unité pharmacie de Viatris France, propose également d’autres leviers, notamment « diversifier les sites de production pour éviter une trop grande concentration géographique et ajuster la régulation pour permettre plus d’agilité tout en garantissant la qualité et la sécurité. » Pour conclure, Vincent Pont, président du Laboratoire Arrow, précise qu’« aucun laboratoire ne cherche intentionnellement à avoir des références en rupture », une situation qui reste préjudiciable à la fois pour le chiffre d’affaires et pour l’image de l’entreprise.

Et relocaliser en Europe ?

La question de la relocalisation de la production pharmaceutique en Europe, voire en France, reste complexe, selon Vincent Pont. « La principale difficulté réside dans les coûts de production, qui sont nettement plus bas dans certaines régions du monde, comme en Asie », explique-t-il. Cette dépendance économique amène souvent les laboratoires à centraliser les volumes dans des usines mutualisées, augmentant ainsi le risque d’interruption d’approvisionnement en cas de problème dans une de ces installations. Parfois, « le nombre de fournisseurs peut être limité à 1 ou 2 pour toute l’Europe », ce qui fragilise davantage le marché en cas de difficulté. Le Laboratoire Arrow répartit ses sources d’approvisionnement de façon équilibrée, avec environ « un tiers en France, un tiers en Europe et un tiers dans d’autres régions du monde ». Si la relocalisation en Europe peut être envisagée pour certains produits stratégiques, elle reste confrontée à « des réalités économiques » qui rendent cette option bien plus compliquée pour d’autres médicaments.

Le « non substituable » : 25 ans de substitution, mais des réticences persistantes

Bien que le droit de substitution des médicaments génériques soit en vigueur depuis 25 ans, des réticences persistent encore, tant chez certains médecins que chez les patients. Le président du Laboratoire Arrow constate que malgré une nette progression de l’acceptation des génériques, « Certains patients sont encore réfractaires à l’idée de changer pour un générique, et certains médecins ont encore une image erronée des génériques. » Ces réticences, souvent liées à une perception d’efficacité inférieure ou à une méfiance envers les institutions de santé, peuvent encore ralentir l’adoption complète des génériques. Cependant, des progrès notables ont été réalisés au regard des taux de substitution élevés pour de nombreuses molécules. En revanche, Vincent Pont précise que « le véritable obstacle à une plus grande pénétration des génériques en France est le périmètre du répertoire des molécules substituables aux médicaments hybrides. L’élargissement de ce répertoire permettrait d’améliorer le taux de substitution et de rejoindre les niveaux observés dans les pays nordiques. »

D’ailleurs, l’étude menée par IQVIA pour Viatris en 2024 confirme également ce point. Elle montre que le taux de substitution pourrait atteindre 97 % en excluant les 3 % de prescriptions portant la mention « non substituable ». Mais dans certaines spécialités, comme la neurologie, où cette mention reste marginale (6 %), le taux de substitution atteint seulement 51 %. Cela montre que l’obstacle ne vient pas uniquement des médecins, mais parfois des patients eux-mêmes ou même des pharmaciens, qui peuvent hésiter à appliquer systématiquement la substitution. Pour améliorer ce taux, Grégory Moses, directeur de l’unité pharmacie de Viatris France, met l’accent sur la nécessité d’une communication renforcée, à la fois pour informer les patients sur la sécurité et l’efficacité des génériques, et pour accompagner les pharmaciens et médecins dans ce processus. L’élargissement du répertoire et une meilleure éducation des parties prenantes sont essentiels pour garantir une adoption plus large des génériques et renforcer leur rôle dans l’équilibre économique du système de santé français.

La bioéquivalence

La bioéquivalence entre un médicament générique et son princeps est établie en comparant deux paramètres : la quantité totale de principe actif absorbée dans le corps et la concentration maximale atteinte, ainsi que le temps nécessaire pour y arriver. Pour que les deux médicaments soient considérés comme bioéquivalents, le ratio de ces valeurs (générique/princeps) doit se situer dans un intervalle de 80 % à 125 %, ce qui garantit des effets similaires en termes d’efficacité et de sécurité. Pour les médicaments MTE, l’intervalle est resserré à 90 %-111 %.

L’évolution de la mention “NS”

La mention « NS » doit être inscrite en toutes lettres (« non substituable ») sur l’ordonnance pour être valide.

introduction de quatre nouveaux motifs obligatoires pour justifier l’utilisation du « non substituable » :

  • CIF (contre-indication formelle),
  • EFG (efficience de forme galénique),
  • MTE (marge thérapeutique étroite),
  • et MTE-PH, permettant aux officinaux de ne pas substituer lorsqu’il s’agit d’un médicament MTE en l’absence de la mention « non substituable – MTE » sur l’ordonnance.

Comment augmenter son taux de substitution ?

Selon Grégory Moses, les officinaux qui arrivent à mieux à substituer partagent ces quatre caractéristiques :

  • Un titulaire convaincu : le pharmacien titulaire est un acteur clé qui substitue systématiquement, sans réticence, quelles que soient les classes médicamenteuses.
  • Une équipe officinale engagée : l’ensemble de l’équipe est convaincu et agit de concert avec le titulaire pour promouvoir la substitution.
  • Une relation de confiance avec le patient : cela passe par une pédagogie et des explications claires sur la sécurité et l’efficacité des génériques, renforçant la confiance des patients.
  • Un système de monitoring efficace : étant donné la grande diversité de références dans le répertoire de génériques et les fréquents nouveaux lancements, il est fondamental d’optimiser le taux de substitution en monitorant ces éléments.

La clause de sauvegarde : le fardeau pour les laboratoires de génériques

La clause de sauvegarde, appliquée à l’industrie pharmaceutique, est devenue un enjeu majeur pour les laboratoires de génériques depuis qu’elle leur est imposée en 2019. Initialement mise en place pour limiter la croissance des dépenses de santé, cette taxe intervient lorsque l’ONDAM (Objectif National des Dépenses d’Assurance Maladie) dépasse les objectifs de croissance du marché du médicament. Jusqu’en 2019, les médicaments génériques étaient exclus de cette taxe, car ils permettent de réaliser des économies significatives pour l’Assurance maladie. Cependant, cette exemption a pris fin, et depuis, les laboratoires de génériques se voient eux aussi soumis à cette taxe, alors qu’ils contribuent à réduire les coûts du système de santé. Grégory Moses décrit cette situation comme un « véritable paradoxe » en rajoutant que « la clause de sauvegarde est une double sanction. D’une part, cette taxe dépend de la performance du marché global du médicament, et non des génériques. L’arrivée de traitements onéreux a fortement accéléré la croissance du marché, ce qui a fait exploser le montant de la taxe. »

En effet, l’augmentation rapide du chiffre d’affaires des médicaments innovants a fait passer le montant de cette taxe de quelques millions d’euros à 700 millions d’euros en 2021, puis à 1,2 milliard d’euros en 2022. Le montant pourrait même atteindre 1,7 milliard d’euros en 2023. Le problème ne réside pas seulement dans le montant de cette taxe, mais aussi dans son imprévisibilité, rendant la planification économique des laboratoires difficile. « Le montant de cette taxe est impossible à prévoir puisqu’il dépend de la performance de l’ensemble du marché du médicament », explique le directeur de l’unité pharmacie de Viatris France. Ce manque de prévisibilité et l’application de la taxe aux génériques, qui représentent une partie du marché censée être économiquement avantageuse pour le système de santé, ont conduit certains à la comparer à une absurdité. Grégory Moses l’illustre ainsi : « C’est comme si vous appliquiez la taxe carbone aux vélos électriques ! »

Pour Vincent Pont, président du Laboratoire Arrow, cette clause est particulièrement pénalisante, sachant « qu’en plus de cela, s’ajoutent les pénalités sur les ruptures ou les niveaux de stock qui pourraient grandement fragiliser le modèle économique des génériqueurs. Si de telles pénalités s’appliquent aux laboratoires, cela pourrait les conduire à se retirer du marché pour certains médicaments, aggravant ainsi les pénuries. »

Cap sur l’innovation et les défis industriels de demain

Les biosimilaires : un nouveau chapitre pour les génériques

Les biosimilaires constituent une nouvelle opportunité pour l’officine, en offrant des alternatives abordables à des traitements biologiques onéreux, notamment pour les pathologies graves comme les cancers. Leur adoption croissante va transformer le rôle des pharmaciens, qui devront accompagner les patients sous ces traitements complexes tout en garantissant l’efficacité et la sécurité des biosimilaires.

Innovation et production : les défis industriels

Les évolutions à venir dans le domaine des médicaments génériques semblent orientées vers une amélioration de l’expérience des patients, tant au niveau de l’observance que du confort. Vincent Pont, président d’Arrow, anticipe que le développement de « nouveaux dosages, des formulations plus adaptées » ou encore des « dispositifs facilitant l’administration, comme des seringues préremplies au lieu de flacons de poudre à reconstituer », deviendront des axes stratégiques pour les laboratoires de génériques. Ces innovations, déjà visibles en milieu hospitalier, devraient, selon lui, gagner en importance au fil des années, afin de répondre aux besoins croissants des patients et des professionnels de santé.

Les opportunités pour les pharmacies

Les génériques et biosimilaires offrent des opportunités majeures pour les pharmacies. Non seulement ils favorisent l’accès aux soins à moindre coût, mais ils permettent également aux pharmaciens de jouer un rôle central dans la gestion des traitements complexes. En élargissant le répertoire des molécules substituables, les pharmacies pourront non seulement augmenter leur chiffre d’affaires, mais aussi répondre à des enjeux de santé publique en garantissant la disponibilité de traitements innovants à un prix abordable.