Digitalisation et biosimilaires : l’avenir de l’officine selon Laurent Filoche

Le salon PharmagoraPlus 2025, récemment tenu à Paris, a rassemblé de nombreux acteurs du monde pharmaceutique autour des défis et opportunités qui se profilent pour l’officine. Parmi les voix qui ont marqué l’événement, celle de Laurent Filoche, président de l’UDGPO (Union des Groupements de Pharmaciens d’Officine), s’est exprimée lors d’une table ronde consacrée à la digitalisation. Au cœur de son discours : l’émergence de la plateforme numérique “Ma Pharmacie en France”, l’importance croissante des biosimilaires comme levier économique et la nécessité de préserver la dimension humaine au sein des officines. Dans une interview réalisée “à chaud” après cette table ronde, Laurent Filoche nous a livré son analyse sur l’évolution du métier de pharmacien, ses nouveaux défis et les solutions pour maintenir la proximité qui caractérise l’officine.

Par Thomas Kassab, publié le 18 mars 2025

Digitalisation et biosimilaires : l’avenir de l’officine selon Laurent Filoche

La digitalisation au service de la proximité : “Éviter un système à deux vitesses”

La première question soulevée lors de l’entretien porte sur la digitalisation croissante des services officinaux. Dans un monde où les patients sont habitués à tout commander en ligne (courses, produits du quotidien, rendez-vous médicaux), comment la pharmacie peut-elle intégrer intelligemment ces nouveaux usages sans perdre son âme ?

« Il faut concilier le maillage territorial de l’officine, qui garantit un accès de proximité à un professionnel de santé, avec la demande croissante de services numériques. » explique Laurent Filoche.

Pour répondre à cet enjeu, l’UDGPO s’est associée à Synergie et à La Poste Santé & Autonomie afin de lancer la plateforme “Ma Pharmacie en France” en juin 2025. Cet outil, pensé pour être interopérable avec d’autres briques numériques (prise de rendez-vous, suivi des entretiens pharmaceutiques, téléconsultations, etc.), vise à :

  • Faciliter la commande et la livraison de médicaments, y compris dans les zones rurales ou enclavées.
  • Proposer un service homogène à travers toutes les officines de France, évitant les inégalités d’accès au numérique.
  • Maintenir la relation humaine, cœur du métier pharmaceutique, grâce à des outils d’accompagnement en ligne qui n’excluent pas le conseil en présentiel.

« Nous voulons éviter un système à deux vitesses, où seules les grandes pharmacies disposant d’importantes ressources humaines ou financières pourraient proposer ces services en ligne. » insiste Laurent Filoche.
« Ma Pharmacie en France permettra à n’importe quelle officine, même de petite taille, d’offrir les mêmes prestations numériques qu’une enseigne très structurée. Cela renforce la proximité avec le patient, et non l’inverse. »

En plus des services de livraison, la plateforme entend proposer une prise de rendez-vous simplifiée pour la vaccination ou les entretiens pharmaceutiques : suivi des patients sous anticoagulants, bilan de médication partagée, entretien de sevrage tabagique, etc. Cette automatisation permettra, selon Laurent Filoche, d’optimiser le temps passé en officine et de fluidifier la relation avec les patients, en évitant les allers-retours téléphoniques ou les risques de rendez-vous manqués.

Accompagner le pharmacien et valoriser son rôle de premier recours

La transition numérique inquiète certains pharmaciens qui redoutent une standardisation des services au détriment du conseil personnalisé. Mais pour Laurent Filoche, cette crainte n’est pas fondée. Au contraire, l’automatisation des tâches administratives ou logistiques doit permettre au pharmacien de dégager plus de temps pour l’accompagnement thérapeutique :

« Délivrer un médicament ou imprimer un bilan automatisé, c’est bien. Mais l’important, c’est l’échange humain qui suit. La digitalisation nous libère des contraintes pour nous recentrer sur le patient, ses besoins réels, ses problématiques d’observance, etc. »

Cette démarche s’inscrit dans l’évolution du métier de pharmacien, dont les missions se sont élargies ces dernières années : vaccination antigrippale et COVID, dépistage de certaines pathologies, entretiens pharmaceutiques spécialisés, etc. Pour autant, Laurent Filoche pointe un déséquilibre majeur : la rémunération de ces nouvelles missions demeure bien inférieure à celle obtenue via la dispensation de médicaments.

« Malheureusement, le modèle économique de l’officine repose encore trop sur la vente de médicaments. Les entretiens et services de prévention sont un vrai plus pour la santé publique, mais leur rémunération reste insuffisante pour compenser la baisse globale des marges. »

Biosimilaires : un nouvel eldorado pour la rentabilité officinale ?

Au-delà de la question du numérique, l’économie de l’officine reste un sujet central. L’inflation, la hausse des coûts énergétiques et la pression sur les marges fragilisent de plus en plus de titulaires. Selon un syndicat pharmaceutique, près d’un pharmacien sur deux envisagerait de vendre son officine d’ici 2030. Un chiffre qui suscite l’alarme au sein de la profession.

« Je pense qu’il faut nuancer ces données, tempère Laurent Filoche. Oui, il y a un phénomène de vente, mais il est aussi lié à la démographie de la profession : bon nombre de pharmaciens titulaires arrivent à l’âge de la retraite et n’ont pas toujours de repreneurs en interne. »

Si la situation économique reste tendue, deux faits viennent éclaircir l’horizon :

  1. La revalorisation récente du prix de vente des officines, qui prouve que le secteur garde une forme d’attractivité auprès des investisseurs et des jeunes diplômés.
  2. L’autorisation de substitution des médicaments biosimilaires par le pharmacien, enfin intégrée à la LFSS (Loi de Financement de la Sécurité Sociale) 2025.

Laurent Filoche explique le potentiel économique considérable de ces biosimilaires :

« Nous réclamions depuis longtemps la possibilité de substituer un médicament biologique de référence par son biosimilaire. C’est désormais acté et c’est une formidable nouvelle pour l’officine. »

Pour illustrer l’impact chiffré, il donne un exemple parlant :

« En substituant une seule boîte d’Humira® par son biosimilaire (adalimumab), le pharmacien gagne autant que s’il réalisait cent entretiens « femme enceinte ». Vous imaginez l’ampleur potentielle ! »

De fait, les biosimilaires pourraient représenter 10 milliards d’euros d’ici 2030, soit le double de la taille du marché des génériques actuellement. Ce nouveau gisement de marge est perçu par l’UDGPO comme l’un des seuls leviers efficacespour compenser la baisse générale de la rentabilité sur le médicament remboursable.

Soutien syndical et perspectives pour les officines

Afin d’aider les pharmaciens à prendre en main ces nouvelles opportunités, l’UDGPO entend jouer un rôle d’accompagnement majeur :

  • Formations sur la substitution des biosimilaires, pour sécuriser la démarche et renforcer la légitimité scientifique des titulaires auprès des prescripteurs.
  • Outils de gestion simplifiée au sein des logiciels métiers, pour intégrer les nouveaux référentiels de prix et automatiser la mise à jour des stocks.
  • Communication envers les patients, pour expliquer l’équivalence thérapeutique des produits et lever les appréhensions face aux molécules biosimilaires.

« L’UDGPO sera aux côtés de ses adhérents pour déployer la substitution des biosimilaires. Nous souhaitons que les pharmaciens se lancent à fond dans ce marché, véritable bouffée d’oxygène économique pour l’officine. » souligne Laurent Filoche.

Par ailleurs, il insiste sur la nécessité de remplir toutes les nouvelles missions confiées aux pharmaciens, qu’il s’agisse de bilans de médication, de prévention ou de vaccination :

« L’officine doit rester le premier recours en santé de proximité. La digitalisation, les biosimilaires, tout cela doit servir à renforcer notre rôle de professionnel de santé accessible et reconnu. »

Un message d’optimisme pour l’avenir

Malgré les difficultés évoquées (baisse de marge, hausse des coûts, évolution démographique des titulaires), Laurent Filoche se montre confiant quant à la capacité de la profession à surmonter cette période de mutation. L’histoire de la pharmacie d’officine en France est jalonnée de défis qu’elle a toujours su relever en s’adaptant.

« Nous sortons d’une période intense avec la crise sanitaire du COVID. Les pharmaciens ont montré leur rôle crucial, que ce soit dans la vaccination, la distribution de masques ou les tests. Cette reconnaissance doit se prolonger. »

L’arrivée de “Ma Pharmacie en France” et la montée en puissance des biosimilaires constituent deux piliers forts pour revitaliser l’économie officinale et affirmer le rôle incontournable du pharmacien auprès des patients. À condition, toutefois, de saisir sans délai ces nouvelles opportunités et de bénéficier d’un soutien syndical et d’une volonté politique à la hauteur des enjeux.

Conclusion : entre tradition et innovation, l’officine au cœur de la santé de demain

L’interview de Laurent Filoche nous livre un message clair : la pharmacie d’officine évolue sur plusieurs fronts à la fois. Le numérique peut (et doit) être un allié pour libérer du temps médical et rapprocher encore davantage le pharmacien du patient. Les biosimilaires, quant à eux, ouvrent une nouvelle ère de rentabilité qui doit être pleinement exploitée pour pérenniser le réseau officinal dans un contexte économique tendu.

Si la dimension humaine et le conseil personnalisé restent la pierre angulaire du métier, l’UDGPO travaille à harmoniser l’accès aux outils digitaux pour toutes les officines, quelle que soit leur taille ou leur localisation. De même, elle engage les pharmaciens à intégrer les biosimilaires au cœur de leur pratique quotidienne, afin de conjuguer service au patient et viabilité économique.

« En combinant la force de notre maillage territorial, notre capacité d’adaptation et l’arrivée de nouveaux outils, je suis persuadé que l’officine sera plus que jamais un pilier incontournable du système de santé français », conclut Laurent Filoche.

Pour les pharmaciens d’officine, la route semble donc tracée vers un modèle renouvelé : modernisation, nouvelles missions, soutien syndical… Autant de leviers qui, s’ils sont activés collectivement, permettront à la profession de consolider son positionnement et de continuer à tisser un lien de confiance fort avec les patients, dans un monde de plus en plus digitalisé.