E.Leclerc et les médicaments en libre accès : quand le supermarché se prend pour une officine

E.Leclerc relance son offensive pour vendre des médicaments sans ordonnance en grande surface, s’appuyant sur un sondage discuté. Mais la santé n’est pas une marchandise à brader.

Par Thomas Kassab, publié le 17 octobre 2024

E.Leclerc et les médicaments en libre accès : quand le supermarché se prend pour une officine

Nouvel épisode dans la longue saga d’E.Leclerc, toujours à la recherche d’une entrée en force dans le marché des médicaments en vente libre. Armé d’un sondage au goût bien particulier, le géant de la grande distribution espère convaincre que les Français n’attendent plus qu’une chose : acheter leurs médicaments sans ordonnance en grande surface. Une analyse que l’on serait tenté de qualifier de, disons, un tantinet opportuniste. Mais voyons plus loin.

Le sondage, réalisé en février 2024 par Ipsos, nous apprend que 74 % des Français seraient favorables à la vente de médicaments dans les parapharmacies de grandes surfaces. Vraiment ? Derrière cette statistique flatteuse se cache une manipulation grossière : les questions posées dans ce sondage, sur fond de crise de l’accès aux soins, sont formulées de telle manière qu’il devient difficile de répondre autre chose que « oui ». « Serait-il plus facile d’acheter des médicaments dans une grande surface avec un docteur en pharmacie sur place ? » Demandez à n’importe qui s’il préfère des horaires larges et des prix cassés, et vous obtiendrez une réponse évidente. Mais ce qui n’est pas dit, c’est qu’E.Leclerc oublie volontairement de mentionner les contraintes réglementaires et de santé publique qui régissent le secteur des officines.

Mais soyons clairs : la vente de médicaments n’a rien à voir avec celle des pots de confiture. Derrière le comptoir d’une pharmacie, c’est toute une expertise, un maillage territorial unique en France qui permet de garantir aux patients un accès rapide et personnalisé aux soins. Les officines, ces 20 000 points de contact de proximité, conseillent, détectent des contre-indications, guident les patients au quotidien. En quoi un supermarché, aussi grand soit-il, pourrait-il prétendre offrir un tel niveau de service ?

E.Leclerc se présente comme le « chevalier blanc » qui résoudrait la crise de l’accès aux soins. Vraiment ? Doit-on rappeler que la santé n’est pas une marchandise ? Que la régulation des prix des médicaments, la présence systématique de pharmaciens diplômés, et les horaires d’ouverture qui, rappelons-le, s’étendent souvent bien au-delà des « horaires classiques », sont autant de garanties pour le public ? La proposition d’E.Leclerc est simpliste, mercantile, et surtout déconnectée des réalités de notre système de santé.

Ce sondage, brandi comme une vérité absolue, laisse en réalité un arrière-goût de manipulation. L’enseigne mise sur la frustration grandissante des Français face à la difficulté d’accès aux soins. Mais la solution à cette crise ne viendra jamais d’une poignée de grandes surfaces avides de conquérir un nouveau marché. Ce que les patients attendent, c’est un renforcement du maillage territorial des soins, un accès simplifié aux médecins, et une profession de pharmacien qui reste au cœur du parcours de soins. Pas un élargissement des rayons d’un hypermarché.

En bon « samaritain » auto-proclamé, E.Leclerc se positionne comme défenseur de la santé accessible à tous. Mais ne soyons pas dupes. L’enjeu est ici avant tout financier, et ce sont les patients qui pourraient en payer le prix fort. Parce que dans ce modèle, l’expertise se dilue, le conseil disparaît, et la pharmacie de proximité, garante de la qualité des soins, s’efface. Alors, pharmaciens, restons vigilants : notre profession est une pièce essentielle de l’écosystème de santé, et elle mérite mieux qu’un rayon en libre-service chez E.Leclerc.