La digitalisation des notices de médicament - Interview exclusive avec Haleon

Le récent rappel d'un lot de Pelgraz®, causé par une confusion dans les notices physiques, met en lumière l'urgence d'adopter des solutions numériques fiables, telles que les e-notices proposées par Haleon. Dans un contexte où les erreurs humaines peuvent avoir des conséquences graves, ces e-notices se présentent comme une alternative indispensable. Découvrez, dans cette interview exclusive, les perspectives d'un expert du secteur sur les enjeux actuels et l'avenir de l'information patient. Rencontre avec Céline Camilleri, Présidente, et Valérie Michaud, Directrice Médicale de Haleon France.

Par Thomas Kassab, publié le 04 septembre 2024

La digitalisation des notices de médicament – Interview exclusive avec Haleon

Le rappel de lot lié à Pelgraz a révélé une faiblesse persistante dans l’industrie pharmaceutique : les risques associés aux notices papier. Alors que les patients pourraient être exposés à des informations incorrectes, l’importance de solutions comme les e-notices, sujet sur lequel Haleon a été à l’avant-garde, devient évidente. Ces outils numériques, accessibles en temps réel et toujours à jour, pourraient transformer la façon dont les patients accèdent à l’information. Pour approfondir ces enjeux et discuter des solutions à venir, nous avons réalisé une interview exclusive avec un expert reconnu du secteur pharmaceutique, qui nous partage son analyse sur cette transition décisive.

Qu’est-ce qu’Haleon ?

Céline Camilleri : Pour ceux qui ne connaissent pas encore Haleon, nous sommes un acteur majeur de la santé grand public. Notre mission est simple mais ambitieuse : améliorer la santé quotidienne des individus en plaçant l’humain au cœur de nos actions. Nous disposons d’un portefeuille de produits diversifié, allant de la santé bucco-dentaire avec des marques comme Sensodyne, Parodontax ou Polident, à la gestion de la douleur avec Voltaren topique, en passant par la santé respiratoire et digestive. En France, nos produits sont très présents, dans pratiquement une armoire à pharmacie sur quatre. Notre objectif est de rendre accessible à tous une meilleure santé au quotidien, et cela passe aussi par l’innovation et l’adaptation de nos outils, comme les e-notices, dont nous parlerons aujourd’hui.

Valérie Michaud :  Mon rôle est de superviser les projets médicaux et de m’assurer que nos initiatives répondent efficacement aux besoins de santé des patients et des professionnels. Dans le cadre de ce projet d’e-notices, je suis particulièrement impliquée dans les aspects de conformité et d’accompagnement des patients pour garantir que l’information fournie soit non seulement précise, mais aussi accessible et compréhensible. Mon travail consiste à assurer que chaque initiative que nous lançons ait un impact positif concret sur la santé publique.

En quoi les e-notices représentent une avancée par rapport aux notices papier traditionnelles, et quels sont les principaux bénéfices qu’elles pourraient apporter, tant pour les pharmaciens que pour les patients ?

Céline Camilleri : Les e-notices, ou notices digitales, sont véritablement une évolution majeure par rapport aux notices papier traditionnelles. D’abord, elles conservent toutes les informations essentielles présentes sur le format papier, mais elles offrent bien plus en termes d’interactivité et de pédagogie. Par exemple, une e-notice peut inclure des infographies pour illustrer la manière de prendre un médicament, des vidéos explicatives réalisées par des professionnels de santé pour expliquer les bons gestes, ou encore des pistes audio pour les personnes ayant des difficultés de lecture. Ces fonctionnalités rendent l’information beaucoup plus accessible, particulièrement pour les personnes âgées ou celles ayant des difficultés de compréhension. Pour les pharmaciens, ces outils représentent un véritable soutien : ils peuvent guider leurs patients de manière plus efficace et s’assurer qu’ils utilisent leurs médicaments correctement. De plus, les e-notices permettent une mise à jour plus rapide et plus facile des informations, ce qui est crucial en cas de changement dans les recommandations d’utilisation.

Valérie Michaud : Pour compléter ce que dit Céline, il est important de souligner que ce projet sur les e-notices a été conçu en étroite collaboration avec les patients et les professionnels de santé. Nous avons mené une enquête en partenariat avec l’AFLAR et l’institut de sondage Odoxa, afin de comprendre précisément les attentes et les besoins de ces deux publics. Il en ressort que les patients souhaitent des outils plus clairs et plus interactifs, car ils trouvent les notices papier actuelles souvent trop complexes et peu engageantes. Les professionnels de santé, quant à eux, voient dans les e-notices une opportunité d’améliorer l’observance des traitements et d’éviter les erreurs liées à une mauvaise compréhension des instructions. L’ajout de tutoriels vidéo, par exemple, a été particulièrement bien accueilli, car ces vidéos peuvent démontrer en quelques minutes des gestes que le texte seul ne parvient pas toujours à expliquer de manière claire.

Vous soulignez un point important avec l’accessibilité. Mais qu’en est-il pour les personnes âgées ou celles qui ne sont pas à l’aise avec les nouvelles technologies ? Comment prévoyez-vous de surmonter ces obstacles ?

Céline Camilleri : L’une des préoccupations que nous avions dès le début de ce projet était justement de ne laisser personne de côté. Il est vrai que certaines personnes âgées ou moins technophiles pourraient se sentir démunies face à ces nouvelles technologies. Cependant, notre enquête montre une tendance intéressante : beaucoup de personnes âgées utilisent désormais des smartphones et accèdent régulièrement à Internet. Ce n’est peut-être pas la même utilisation que les jeunes générations, mais ils sont tout de même connectés. Cela dit, nous savons qu’un accompagnement est nécessaire. Lors du déploiement, il faudra former les pharmaciens et les autres professionnels de santé à ces outils pour qu’ils puissent à leur tour aider les patients à s’approprier les e-notices. C’est un processus qui prendra du temps, mais nous pensons que, comme avec la déclaration d’impôts en ligne, cette transition peut devenir naturelle si elle est bien encadrée.

Valérie Michaud : En complément, nous souhaitons vraiment que cette transition soit progressive. Nous ne voulons pas imposer les e-notices du jour au lendemain, mais plutôt les introduire comme un complément aux notices papier, avec une phase de cohabitation des deux formats. Durant cette phase, nous allons travailler à sensibiliser les patients, notamment les personnes âgées, en leur montrant les avantages des e-notices et en les aidant à s’en servir. Par exemple, nous pourrions imaginer des sessions de formation organisées dans les pharmacies, où les patients pourraient apprendre à scanner un QR code et à naviguer sur une e-notice. L’idée est de rendre cette transition aussi fluide et accessible que possible, pour que chaque patient se sente à l’aise avec ce nouveau format.

Vous avez mentionné un projet pilote qui est en cours. Pouvez-vous nous en dire plus sur ce projet, ses objectifs, et ce que vous espérez en tirer ?

Valérie Michaud :  Ce projet pilote est une initiative lancée par l’ANSM, par le biais d’un appel d’offres qui a été publié récemment. Il concerne plusieurs types de médicaments (vaccins, contraceptifs oraux, médicaments homéopathiques bénéficiant d’une AMM, paracétamol formes orales sèches pour adultes, inhibiteurs de la pompe à protons (IPP), statines… L’objectif de ce pilote est double : d’une part, tester l’efficacité des e-notices en conditions réelles, c’est-à-dire voir comment elles sont perçues et utilisées par les patients et les professionnels de santé ; d’autre part, mesurer l’impact de ces notices sur l’observance des traitements et sur la sécurité d’utilisation des médicaments. L’ANSM a jusqu’à fin novembre 2024 pour déterminer les sociétés sélectionnées dans la phase pilote. Nous espérons également en apprendre plus sur les meilleures pratiques pour créer et valider ces e-notices, en collaboration avec les autorités de santé. Il s’agit d’un projet ambitieux, mais qui pourrait poser les bases de ce que seront les notices de médicaments dans le futur.

Céline Camilleri : Ce projet est vraiment important, car il va nous permettre de répondre à plusieurs questions importantes : Comment les patients réagissent-ils à ces nouvelles notices ? Sont-elles vraiment plus efficaces pour communiquer les informations essentielles ? Nous savons que l’un des défis sera d’assurer que tout le monde puisse utiliser ces e-notices, même les personnes moins à l’aise avec la technologie. Une partie du projet consistera donc à mesurer l’impact de cette transition sur l’expérience des utilisateurs, notamment en termes de lisibilité, d’accessibilité et de compréhension. Ce projet pilote est aussi l’occasion d’évaluer comment ces notices peuvent être mises à jour rapidement en cas de nouvelles recommandations ou de modifications des informations sur un médicament.

Avez-vous des prévisions quant à l’échéancier pour un déploiement plus large des e-notices ? Pensez-vous que cela pourrait se généraliser dans les prochaines années ?

Céline Camilleri : C’est encore un peu tôt pour donner des dates précises, car cela dépend de nombreux facteurs, notamment de la volonté des autorités de santé à accélérer ce changement. Cependant, nous espérons voir un déploiement progressif des e-notices dans les cinq à dix ans à venir. Ce calendrier pourrait être raccourci si les autorités, comme cela a été le cas pour d’autres initiatives de santé publique, décident de pousser activement ce projet. La transition vers les e-notices devra être soutenue par des campagnes de sensibilisation et des formations pour que les patients et les professionnels de santé se sentent à l’aise avec ce nouveau format. Si tout se passe bien, nous pourrions voir les e-notices devenir la norme dans un avenir relativement proche.

Valérie Michaud : Ce projet est également une opportunité de repenser la manière dont nous communiquons avec les patients. Nous devons rester flexibles et réactifs, car la technologie évolue rapidement et les attentes des patients aussi. Mais avec un soutien institutionnel et une adoption progressive, nous pensons que cette transition peut se faire en douceur et apporter des bénéfices significatifs en termes de santé publique.

Parlons de l’impact écologique des e-notices. Réduire la quantité de papier utilisé est un avantage certain, mais y a-t-il d’autres aspects écologiques à prendre en compte ?

Céline Camilleri : Oui, la réduction de l’utilisation du papier est l’un des avantages immédiats et évidents des e-notices. Cela signifie moins de papier utilisé, donc moins de ressources consommées et moins de déchets produits. Cependant, l’impact écologique va au-delà de cela. En numérisant les notices, nous réduisons également les besoins en transport et en stockage associés aux notices papier, ce qui contribue à une empreinte carbone moindre. De plus, les e-notices peuvent intégrer des informations sur le recyclage des emballages, incitant les patients à trier correctement les déchets liés aux médicaments. Nous pensons également que cette transition pourrait encourager une approche plus générale de la santé plus respectueuse de l’environnement, en sensibilisant les patients à l’importance du tri sélectif et à la réduction des déchets.

Valérie Michaud : Si nous réussissons à introduire les e-notices de manière efficace, cela pourrait avoir un effet d’entraînement positif sur d’autres aspects du processus de délivrance des médicaments. Par exemple, nous pourrions voir une meilleure gestion des emballages des médicaments, avec des instructions claires pour le recyclage directement accessible via la notice digitale. Tout cela contribue à un modèle de santé plus durable. Et bien sûr, nous ne perdrons jamais de vue notre objectif principal : améliorer la santé des patients tout en réduisant notre impact environnemental.

Avec l’éventuelle dispensation à l’unité des médicaments, est-ce que ce projet d’e-notices et de QR codes a été pensé pour s’adapter à cette pratique ?

Céline Camilleri : Actuellement, notre projet se concentre principalement sur les boîtes de médicaments entières, mais nous envisageons bien sûr l’avenir. La dispensation à l’unité est une piste intéressante et il est tout à fait possible que les e-notices puissent être adaptées à cette pratique. Par exemple, dans un contexte de pénurie ou de besoin de conditionnements spécifiques importés de l’étranger, les QR codes pourraient offrir une solution flexible en permettant aux patients d’accéder à la notice française, même si le conditionnement initial provient d’un autre pays. Cela permettrait non seulement de faciliter l’accès aux médicaments, mais aussi de garantir que l’information fournie est toujours précise et à jour, peu importe la provenance du produit.

Valérie Michaud : À terme, ce type de flexibilité pourrait même permettre de répondre plus rapidement et efficacement aux pénuries de médicaments en utilisant des lots venant d’autres pays européens, tout en s’assurant que les patients disposent de toutes les informations nécessaires dans leur langue. Bien que nous ne soyons pas encore à ce stade, nous pensons qu’il est important de commencer à réfléchir à ces adaptations dès maintenant pour être prêts à les mettre en œuvre lorsque le besoin s’en fera sentir.

Comptez-vous mener des campagnes de sensibilisation pour accompagner le déploiement des e-notices ? Quelles initiatives envisagez-vous pour faciliter leur adoption ?

Céline Camilleri : Si les autorités de santé décident de soutenir activement ce projet, il est très probable que des campagnes de sensibilisation seront nécessaires pour informer le grand public et les professionnels de santé des avantages des e-notices. Ces campagnes pourraient être menées en partenariat avec les syndicats de pharmaciens, les ordres professionnels, et d’autres acteurs de la santé. De notre côté, chez Haleon, nous sommes prêts à jouer un rôle actif dans ce processus. Nous envisageons par exemple de développer des outils pédagogiques pour les pharmaciens afin qu’ils puissent expliquer facilement les e-notices à leurs patients, ainsi que des sessions d’information pour le grand public.

Valérie Michaud : Pour aller plus loin, nous pensons aussi à la formation continue des professionnels de santé, non seulement pour qu’ils soient à l’aise avec ces nouveaux outils, mais aussi pour qu’ils puissent accompagner les patients dans cette transition. Le déploiement des e-notices doit être fait en étroite collaboration avec les autorités et les professionnels de santé pour s’assurer que tout le monde est bien aligné sur les objectifs et les bénéfices attendus. Un plan d’accompagnement complet, incluant des formations, des guides pratiques, et des outils d’aide à la communication, sera essentiel pour garantir que cette transition se déroule de manière fluide et bénéfique pour tous.

Quelles sont vos attentes principales concernant ce projet d’e-notices ? Quels impacts espérez-vous voir sur la santé publique et sur l’expérience des patients ?

Céline Camilleri : Chez Haleon, nous voyons dans les e-notices un outil puissant pour améliorer l’accessibilité aux soins. En rendant les informations médicales plus claires, plus accessibles et plus interactives, nous pouvons aider les patients à mieux comprendre et gérer leurs traitements, ce qui est essentiel pour leur santé à long terme. Les e-notices ont également un rôle à jouer dans la réduction des inégalités d’accès à l’information, en particulier pour les populations vulnérables, comme les personnes âgées ou celles qui maîtrisent mal la langue française. Nous espérons que ce projet contribuera à une amélioration significative de l’observance des traitements, à une réduction des erreurs médicamenteuses, et finalement à un meilleur état de santé global de la population.

Valérie Michaud : En plus de ces aspects, nous espérons également que les e-notices permettront de renforcer le lien entre les patients et les professionnels de santé. En offrant des outils supplémentaires pour communiquer et expliquer les traitements, nous pouvons aider à instaurer une relation de confiance et de soutien. Nous sommes également convaincus que les e-notices peuvent jouer un rôle dans la promotion de la prévention, en incluant des messages sur l’importance de l’activité physique, de l’alimentation équilibrée, et d’autres aspects essentiels pour bien vieillir en bonne santé. Ce projet est donc non seulement une évolution technologique, mais aussi une opportunité de repenser notre approche de la santé publique dans son ensemble.