Vitascorbol instrumentalisé : Cooper met en demeure E.Leclerc

Instrumentalisation, lobbying, guerre d’influence : derrière l’utilisation choc de Vitascorbol dans une publicité signée E.Leclerc, c’est tout l’équilibre du monopole pharmaceutique français qui vacille. Le Laboratoire Cooper dénonce une récupération politique de son image, engagée sans autorisation, et dégaine la mise en demeure. L’affaire dépasse le simple cadre publicitaire : elle illustre un bras de fer idéologique entre modèle de santé publique et appétits de la grande distribution.

Par Thomas Kassab, publié le 23 avril 2025

Vitascorbol instrumentalisé : Cooper met en demeure E.Leclerc

Vitascorbol détourné : un manifeste en vitrine

La publicité est frontale. Vitascorbol C1000 trône en pleine page à 2,20 €, flanqué de cette accroche cynique : « Dommage qu’on n’ait pas le droit de faire pareil avec le paracétamol. » Le message est clair : E.Leclerc pousse sa campagne pour faire tomber le monopole pharmaceutique sur les médicaments sans ordonnance.

Mais cette fois, le distributeur franchit une nouvelle limite : il utilise l’image d’un produit emblématique, sans autorisation du fabricant, pour faire passer un message politique. Cooper, pris au dépourvu, parle d’instrumentalisation grave et envoie une mise en demeure immédiate.

Deux campagnes, zéro réaction : l’Ordre silencieux

Ce n’est pas la première fois qu’E.Leclerc provoque. En novembre 2023, déjà, l’enseigne publiait une campagne tapageuse sur le paracétamol, accusant les pharmaciens de bloquer l’accès aux soins. Aujourd’hui, rebelote avec la vitamine C. Et à chaque fois, un silence assourdissant : celui de l’Ordre national des pharmaciens.

« On attendait une parole forte de notre instance représentative. On n’a rien vu passer. Pas un communiqué, pas une prise de position publique », confie un pharmacien titulaire.
« Quand une enseigne détourne l’image du médicament pour faire du lobbying, ce n’est pas qu’une affaire de droit privé, c’est un enjeu déontologique. »

Cette absence de réaction interpelle : comment défendre la profession si l’institution censée la représenter ne monte pas au créneau face à de telles attaques ?

 Vitascorbol, symbole d’un modèle menacé

Longtemps médicament sous AMM, Vitascorbol est aujourd’hui un complément alimentaire encore massivement distribué en pharmacie (à plus de 95 %, selon Cooper). Son choix dans cette campagne n’est pas neutre : il incarne le lien fort entre produits de santé et conseil officinal.

Le détourner à des fins commerciales, c’est affaiblir ce lien, réduire le médicament à une simple marchandise, et banaliser l’acte pharmaceutique.

Une bataille politique sous couvert de prix bas

En utilisant les codes de la publicité pour faire du militantisme économique, E.Leclerc ne fait pas qu’une promo : il mène une croisade. Celle d’un accès généralisé aux médicaments OTC via la grande distribution, au nom du pouvoir d’achat.

Mais derrière les prix bas, la santé publique recule. L’UDGPO alerte depuis des mois sur les risques d’intoxication en cas de libéralisation du paracétamol. Les pharmaciens rappellent l’importance du conseil, de l’encadrement, de la traçabilité. Tout ce qu’une parapharmacie en libre accès ne garantit pas.

Un vide juridique, une faille morale

Peut-on utiliser un produit de santé pour porter une revendication politique sans l’accord du fabricant ? Techniquement, c’est flou. Juridiquement, contestable. Éthiquement, intenable.

Et pourtant, cette faille est exploitée sans sanction, ni régulation, ni réaction publique. Le cas Vitascorbol pourrait créer un précédent, et poser la question d’un encadrement législatif urgent pour protéger les marques pharmaceutiques contre les détournements idéologiques.

Un modèle officinal en ligne de mire

En s’en prenant à Cooper, E.Leclerc cible bien plus qu’un laboratoire : il attaque un modèle. Celui d’une santé distribuée, encadrée, conseillée. Pas vendue à la chaîne. La mise en demeure du laboratoire est un acte de résistance, mais elle ne suffira pas si les instances restent muettes et si la profession ne fait pas front.