Mouvement de grève des pharmaciens prévu pour le 30 mai : à quoi s'attendre en termes de mobilisation ?

Face à une pénurie croissante de médicaments et des marges sous pression, Alexis Berreby, co-président de LeaderSanté, dévoile les défis du secteur pharmaceutique et les raisons de la grève nationale du 30 mai. Dans cette interview exclusive, il plaide pour une revalorisation urgente et discute des mesures nécessaires pour préserver l'avenir des pharmacies en France.

Par Thomas Kassab, publié le 06 mai 2024

Mouvement de grève des pharmaciens prévu pour le 30 mai : à quoi s’attendre en termes de mobilisation ?

Dans un contexte de crise sanitaire exacerbée par une pénurie alarmante de médicaments, les pharmacies françaises se trouvent à un tournant critique. Les pharmaciens, souvent considérés comme le premier point de contact dans le système de santé, font face à des marges de plus en plus réduites, mettant en péril leur capacité à servir efficacement la population. Alexis Berreby, co-président du groupement pharmaceutique LeaderSanté, nous offre son éclairage sur cette situation précaire. À l’aube d’une journée de mobilisation nationale prévue pour le 30 mai, découvrons à travers cette interview les principaux enjeux et les revendications des pharmaciens, qui cherchent désespérément à sauvegarder leur profession et à garantir l’accès aux soins pour tous :

Quelles sont les raisons sous-jacentes à la pénurie de médicaments, principale revendication de la grève du 30 mai ?

Alexis Berreby : La pénurie de médicaments que nous rencontrons aujourd’hui est largement due à une diminution des marges bénéficiaires dans le secteur pharmaceutique, exacerbée par des prix de vente extrêmement bas. Ces conditions économiques défavorables poussent les fabricants à orienter leur distribution vers des marchés plus rémunérateurs hors de France. Ce modèle où l’on cherche à réduire les coûts à tout prix montre clairement ses limites. Il est impératif que les autorités reconnaissent la nécessité d’une revalorisation des prix des médicaments afin de revitaliser les pharmacies et de soutenir l’infrastructure officinale en France, qui souffre de cette situation.

Concernant la revalorisation des marges, cela inclut-il aussi une amélioration de la rémunération pour certains services pharmaceutiques, comme les actes de dépistage ?

Alexis Berreby : Tout à fait, la revalorisation devrait couvrir non seulement les produits pharmaceutiques mais aussi les services que nous fournissons, tels que les actes de dépistage et la distribution de médicaments biosimilaires. Nous sommes toujours en attente d’une politique permettant officiellement la substitution par le pharmacien pour ces produits. De plus, il est crucial de revoir à la hausse les marges sur ces produits, qui sont souvent très coûteux, afin de permettre aux pharmacies de fonctionner économiquement tout en remplissant leur rôle de fournisseurs de soins de santé de première ligne.

Pourquoi existe-t-il une réticence à autoriser les pharmaciens à substituer les biosimilaires ?

Alexis Berreby : La réticence n’est pas fondée sur des inquiétudes concernant la sécurité ou la complexité des biosimilaires. Il s’agit plutôt d’une approche économique conservatrice de la part des pouvoirs publics. Les pharmacies, déjà sollicitées pour prendre en charge de nouvelles responsabilités telles que le dépistage et la vaccination, doivent gérer ces produits de haute technologie avec de faibles marges. Cela met les pharmacies dans une position économique très difficile, où il devient de plus en plus ardu de maintenir un niveau de service adéquat face à une augmentation des charges et des responsabilités.

Vous avez mentionné que lorsqu’il s’agit de réaliser des économies, les prix des médicaments sont souvent les premiers ajustés. Quel est l’impact de cette pratique sur la profession ?

Alexis Berreby : Réduire les coûts des médicaments est une approche courante, mais problématique. Les médicaments représentent environ 11 % du budget de la Sécurité sociale, mais ils sont souvent la cible de coupes budgétaires. La pharmacie, bien qu’étant le dernier maillon de la chaîne de soins et un pilier fondamental de la santé publique, est disproportionnellement affectée par ces décisions. Ajoutez à cela la pression croissante de la libéralisation potentielle de la vente des médicaments en ligne, et vous obtenez une profession sous forte tension. Cette combinaison de facteurs crée un mécontentement généralisé parmi les pharmaciens, qui voient leur rôle et leur contribution à la santé publique non seulement sous-évalués, mais également menacés.

La vente en ligne des médicaments est-elle désormais une politique confirmée ?

Alexis Berreby : Cette question est toujours en débat. Les discussions autour de la libéralisation de la vente de médicaments sur Internet sont avancées, mais rien n’est encore définitivement acté. Cela fait partie d’une réflexion plus large sur le monopole pharmaceutique et la manière d’adapter la profession aux nouvelles réalités du marché. Nous sommes à un point critique où les décisions prises auront des implications profondes et durables pour la profession et pour l’accès aux soins médicaux.

Comment évaluez-vous l’état actuel du réseau officinal en France ?

Alexis Berreby : Le réseau officinal est dans un état précaire. Plusieurs pharmacies, pour la première fois de leur histoire, voient leur trésorerie devenir déficitaire. Le taux de fermeture des pharmacies s’accélère, ce qui menace de créer des déserts médicaux en termes de distribution de médicaments. Cela nécessite une mobilisation générale des professionnels du secteur pour défendre et renforcer notre profession face à ces défis croissants.

Y a-t-il une difficulté croissante à trouver des repreneurs pour les pharmacies en vente ?

Alexis Berreby : Oui, en particulier pour les petites officines qui luttent pour atteindre une taille critique viable. Sans une amélioration significative des conditions économiques, y compris des marges, ces petites structures sont en danger de disparition. Si cette tendance continue, nous risquons de voir un réseau pharmaceutique majoritairement composé de grandes structures concentrées dans les zones urbaines denses, ce qui compromettrait l’accès équitable aux soins pharmaceutiques sur tout le territoire.

Quelle est l’ampleur de la mobilisation attendue pour la grève ?

Alexis Berreby : Nous attendons une participation très élevée, comparable à celle de 2014 où 95 % des pharmaciens avaient participé à la grève. Nous avons mis en place des initiatives comme des pétitions et des affichages explicatifs pour sensibiliser à la fois le public et les autorités à l’importance de nos revendications et à l’urgence de la situation. D’ailleurs, il y a une unité totale entre les différents syndicats pharmaceutiques sur les revendications principales. Cette unité se manifeste tant au niveau régional que national, ce qui montre un front commun solide et déterminé à lutter pour l’amélioration de nos conditions de travail et pour le maintien de la qualité des soins pharmaceutiques.

Pour conclure, avez-vous un message ou une réflexion finale à partager ?

Alexis Berreby : Chez LeaderSanté, nous sommes toujours à la recherche de solutions innovantes pour répondre aux défis actuels et futurs de la profession. Nous espérons que les autorités prendront sérieusement en compte nos propositions pour adapter les conditions d’exploitation des pharmacies aux nouveaux défis qui émergent. Nous sommes prêts à collaborer et à mettre en œuvre des solutions qui assureront non seulement la pérennité de notre profession mais aussi l’amélioration de l’accès aux soins pour tous les Français.

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