Comment aborder les addictions l'officine ?

Aborder les addictions avec les patients en officine est une mission délicate, mais indispensable. En France, près de 10 % de la population est touchée par l'addiction à l'alcool, soulignant l'importance de votre rôle dans la prévention, la détection et le soutien des personnes dépendantes. Ce guide pratique propose des stratégies et des conseils pour engager ces discussions de manière efficace et empathique, favorisant ainsi la santé et le bien-être des patients tout en renforçant la relation de confiance.

Thomas Kassab, DU de Pharmacie clinique, publié le 04 novembre 2024

Comment aborder les addictions l’officine ?

Comprendre les addictions

Les addictions se caractérisent par une perte de contrôle sur la consommation d’une substance ou la pratique d’un comportement, malgré les conséquences négatives sur la santé et la vie quotidienne. Elles entraînent des modifications neurobiologiques dans le système de récompense du cerveau, conduisant à une tolérance et une dépendance. Les substances impliquées incluent l’alcool, le tabac, les opiacés (comme la morphine et l’héroïne) et les médicaments psychotropes à l’instar des benzodiazépines (BZD). Reconnaître les signes de dépendance, tels que des changements de comportement, des demandes fréquentes de renouvellement de prescription, et des signes physiques de consommation excessive (perte de poids, troubles du sommeil, symptômes de sevrage), est essentiel pour une prise en charge adéquate. L’alcool, en augmentant l’activité du GABA et en inhibant le glutamate, induit une sensation de détente et de désinhibition. La nicotine du tabac stimule les récepteurs nicotiniques, augmentant la libération de dopamine et créant une forte dépendance. Les opiacés se lient aux récepteurs opioïdes, produisant des effets analgésiques et euphorisants, mais leur usage prolongé réduit la production endogène d’opioïdes et provoque des symptômes de sevrage sévères. Les BZD, agissant sur les récepteurs GABA, induisent sédation et anxiolyse, mais leur usage chronique peut entraîner une dépendance et des effets de sevrage importants.

Le circuit de récompense

Les addictions s’installent souvent à cause du système de récompense du cerveau. Lors de la consommation de substances addictives, des neurotransmetteurs comme la dopamine sont libérés, procurant une sensation de plaisir intense. Cette libération de dopamine active le noyau accumbens, renforçant le comportement de consommation. À long terme, le cerveau s’adapte en réduisant la sensibilité des récepteurs dopaminergiques, conduisant à une tolérance. L’individu a alors besoin de consommer plus pour obtenir le même effet. De plus, la capacité à ressentir du plaisir dans les activités quotidiennes diminue, créant une anhedonie. Ce cycle de tolérance et de dépendance pousse à une consommation croissante pour éviter les symptômes de sevrage, rendant la sortie de l’addiction particulièrement difficile sans aide médicale et psychologique. Cette sensation renforce le comportement de consommation, créant un cercle vicieux où le patient ressent un besoin croissant de la substance pour retrouver cette sensation de plaisir.

Prise en charge des addictions en officine

Identification et évaluation

Il est important de pouvoir identifier les signes de dépendance chez les patients. Des outils comme les questionnaires de dépistage peuvent être utiles pour évaluer la dépendance. Par exemple, « Pouvez-vous me parler de votre consommation d’alcool ? À quelle fréquence et en quelle quantité consommez-vous ? »

Stratégies d’intervention

L’entretien motivationnel est une approche centrée sur le patient visant à renforcer la motivation intrinsèque pour le changement. On peut commencer par des phrases telles que : « Qu’est-ce qui vous motive à vouloir réduire votre consommation de tabac ? » L’éducation thérapeutique implique d’informer les patients sur les risques liés à la consommation et de les encourager à adopter des comportements plus sains. Par exemple, « Saviez-vous que réduire votre consommation de tabac peut améliorer significativement votre santé pulmonaire ? ». Un suivi régulier est également essentiel, par exemple, « Je vous propose que nous nous rencontrions à nouveau dans deux semaines pour faire le point sur votre progression ».

Conseils pratiques pour aborder les addictions

Préparation et environnement

Créer un environnement accueillant et privé dans l’officine pour discuter des problèmes de dépendance est essentiel. Établir une relation de confiance avec le patient favorise une communication ouverte et honnête. Une phrase d’introduction pourrait être : « Je suis ici pour vous aider et toutes nos discussions resteront confidentielles ».

Techniques de communication

Adopter une approche non-jugeante est crucial. Aborder le sujet avec empathie et sans jugement incite le patient à parler de ses problèmes. Par exemple, « Je comprends que cela puisse être difficile à gérer, comment puis-je vous soutenir ? » Utiliser des questions ouvertes permet d’encourager le patient à partager ses expériences et préoccupations : « Pouvez-vous me parler de ce qui vous amène aujourd’hui ? ». Montrer une écoute active en reformulant les propos du patient assure une bonne compréhension de ses besoins et inquiétudes : « Si je comprends bien, vous trouvez que votre consommation d’alcool affecte votre vie quotidienne, c’est bien cela ? ».

Outils et ressources disponibles

Soutien face aux médicaments de substitution

Le suivi par le pharmacien inclut une surveillance étroite de l’usage et des conseils pour gérer les effets secondaires. Par exemple, lors d’une délivrance de TSO, il peut être judicieux d’ajouter une phrase de type « Nous allons suivre attentivement ce traitement, n’hésitez pas à revenir pour discuter de vos progrès ou de vos difficultés » afin que le patient se sente accompagné.

Groupes de soutien et thérapies

Encourager les patients à rejoindre des groupes de soutien comme les Alcooliques Anonymes ou les Narcotiques Anonymes. La thérapie cognitive-comportementale (TCC) peut également être recommandée pour aider à modifier les comportements addictifs. Vous pouvez engager le dialogue via des phrases comme : « Rejoindre un groupe de soutien peut vous offrir une communauté de personnes ayant des expériences similaires, cela peut être très bénéfique ».

Formation et collaboration interprofessionnelle

Les pharmaciens doivent continuer à se former sur les addictions et les traitements disponibles via la réalisation d’un D.U. en addictologie, comme celui dispensé par l’UFR de Pharmacie d’Amiens par exemple. Aussi, collaborer avec d’autres professionnels de la santé mentale, comme les médecins psychiatres, et les psychologues.

Proposer un entretien pharmaceutique

Il est possible d’utiliser « Mon bilan prévention », le nouvel entretien pharmaceutique pris en charge à 100 % par l’Assurance maladie, pour aborder l’addictologie et sa prévention. Ce bilan est rémunéré à hauteur de 30 € en métropole via le code acte « RDP ». Ce bilan permet aux pharmaciens d’aborder les addictions avec les patients de manière structurée et personnalisée et dans un espace de confidentialité adapté.