Accompagner l’allaitement au comptoir : les conseils de l’experte Carole Hervé

L'allaitement maternel reste la norme biologique pour nourrir un nourrisson ; pourtant de nombreuses idées reçues circulent encore autour de sa pratique. Bénéfices pour l’enfant et la mère, prévention des complications courantes comme les crevasses ou la mastite, rôle des compléments pour stimuler la lactation… À travers cette interview, Carole Hervé, consultante en lactation IBCLC, auteure, formatrice et conférencière, éclaire les professionnels de santé et les jeunes parents sur les bonnes pratiques et les dernières recommandations officielles en matière d’allaitement.

Par Thomas Kassab, publié le 24 avril 2025

Accompagner l’allaitement au comptoir : les conseils de l’experte Carole Hervé

Pourquoi le lait maternel reste-t-il irremplaçable pour un nourrisson ?

Carole Hervé : Le lait maternel est spécifiquement conçu pour répondre aux besoins du bébé. Aucun lait industriel ne peut reproduire sa richesse en anticorps, enzymes, en macro et micronutriments. Même lorsque la recherche pense s’en approcher, la complexité du lait maternel reste inégalée. Des études montrent qu’un bébé ayant reçu ne serait-ce que du colostrum profite de bénéfices durables sur sa santé cardiovasculaire. De plus, l’allaitement exclusif réduit les risques d’infections ORL, de bronchiolite, d’asthme, d’allergies, d’obésité infantile, de certains cancers et de la mort subite du nourrisson.

Quels sont les bénéfices de l’allaitement pour la mère ?

C. H. : L’allaitement réduit sensiblement le risque de cancers hormonodépendants (seins, ovaires), d’ostéoporose et de dépression du post-partum. Il favorise aussi la récupération post-accouchement grâce à la contraction de l’utérus induite par la tétée.

Carole Hervé, consultante en lactation

Carole Hervé, consultante en lactation

En allaitant, la femme bénéficie également d’une contraception naturelle temporaire, dans des conditions précises (méthode MAMA : méthode de l’allaitement maternel et de l’aménorrhée), avec une efficacité comparable à celle de la pilule microprogestative ou du dispositif intra-utérin.

L’allaitement protège-t-il réellement contre la dépression post-partum ?

C. H. : Les recherches récentes, notamment celles de Dr Catherine Monk (Dr. Perinatal Pathways Lab) montrent qu’un allaitement réussi est protecteur. Encourager une mère à sevrer pour se « reposer » est souvent contre-productif. Un soutien adapté pour maintenir l’allaitement s’avère bien plus bénéfique sur le plan émotionnel.

Quels sont les principaux problèmes rencontrés en allaitement ?

C. H. : Les plaintes les plus fréquentes sont les engorgements, les crevasses, souvent liés à une mauvaise installation du bébé au sein et la perception réelle ou perçue d’un manque de lait. Une succion inefficace génère des douleurs, empêche le drainage complet du sein et expose aux infections. Et plus le bébé tète, mieux il tète, moins il risque de blesser le sein, plus il reçoit de lait et plus sa maman en produit.

Comment prévenir et traiter les crevasses ?

C. H. : Les crevasses résultent majoritairement d’un défaut de positionnement. Pour éviter ces lésions, il faut s’assurer que le bébé ouvre grand la bouche et prend bien une large partie de l’aréole. En cas de crevasses, on recommande des soins simples : lanoline, pommades à base d’algue rouge, vitamine E, ou miel stérilisé. Si une infection bactérienne (notamment au staphylocoque doré) est suspectée, une pommade antibiotique prescrite par un médecin sera nécessaire.

Quelle est la bonne conduite face à un engorgement ?

C. H. : Un engorgement est dû à un œdème lymphatique et non à un excès de lait. La solution repose sur l’application de chaleur, le drainage régulier (par l’enfant ou un tire-lait), et un bon repos. Un engorgement traité rapidement peut se résoudre en 6 à 12 heures. Sinon, il peut évoluer vers une mastite.

Comment traiter une mastite ?

C. H. : Face à une mastite, il est essentiel de continuer voire d’accentuer le drainage, d’appliquer de la chaleur et de prendre du paracétamol pour soulager la douleur. L’auto-médication par anti-inflammatoires non stéroïdiens (type ibuprofène) est déconseillée en première intention. Si la fièvre persiste au-delà de 24 heures, un traitement antibiotique adapté (Orbénine® ou Pyoscatine®) doit être prescrit. Il convient d’encourager la mère à maintenir l’allaitement même elle souhaite arrêter à court terme, afin de lui éviter tout risque de complication.

Peut-on allaiter en cas d’abcès ?

C. H. : Même en présence d’un abcès du sein, l’allaitement est recommandé, en complément d’un drainage médical (ponction ou chirurgie légère). Il est important pour éviter une baisse durable de la lactation. Rappeler alors à la patiente qu’à moins que l’abcès ne soit très proche du mamelon, son lait ne risque pas d’être infecté car l’abcès est encapsulé à côté des canaux lactifères et le bébé ne boira pas de pus.

Dans tous ces cas de figure, ne pas attendre et référer la mère à un professionnel compétent : la consultante en lactation IBCLC ou une sage-femme possédant le DIULHAM (Diplôme Inter-Universitaire en Lactation Humaine et en Allaitement Maternel)

Les pleurs du bébé signifient-ils qu’il a faim ?

C. H. : Pas nécessairement. Un bébé allaité peut téter entre 6 et 18 fois par 24h (JC Kent, 2006), et pleurer pour de multiples raisons. Le meilleur indicateur de bonne alimentation est l’observation des couches : au moins 6 couches lourdes d’urine par jour, et trois selles jaunes liquides qui couvrent la paume de la main d’un adulte. La croyance selon laquelle on devrait entraîner un bébé à espacer ses tétées est erronée. Chaque bébé a son propre rythme, variable selon son efficacité de succion et la capacité de stockage de sa mère. Et à mesure qu’il reçoit du lait, et qu’il grandit, il adopte un rythme plus régulier de lui-même.

Quelle est la place de la sucette ?

C. H. : L’usage de la sucette peut perturber la fréquence des tétées, surtout dans les premières semaines cruciales pour établir une lactation solide. Il est recommandé d’attendre que l’allaitement soit bien installé avant d’introduire une sucette.

Existe-t-il des compléments pour stimuler la lactation ?

C. H. : Avant d’envisager un complément, il faut s’assurer que la conduite d’allaitement est optimisée et qu’il ne risque pas d’entrainer des effets secondaires. La dompéridone est parfois utilisée pour induire une lactation sous surveillance médicale stricte (protocole Newman-Goldfarb), bien qu’elle n’ait pas d’AMM pour cet usage en France. Côté plantes, le fenugrec est traditionnellement utilisé. Des études ont en effet, démontré son efficacité pour stimuler la lactation en favorisant la sécrétion de prolactine notamment.,

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