Bornes et cabines se multiplient
D’après David Syr, directeur adjoint de Gers Data, 3,5 % des pharmacies ont réalisé au moins une téléconsultation en 2020. Elles sont aujourd’hui 9 % et ce chiffre pourrait atteindre les 14 à 15 % d’ici l’année prochaine.
Le profil des patients se tournant vers la téléconsultation en pharmacie est plutôt jeune : un tiers a moins de 30 ans, et 69 % sont âgés de 20 à 59 ans (cf infographie ci-contre). Notons que les femmes fréquentent davantage les pharmacies que les hommes (56 % vs 43 %) et qu’elles sont également nettement plus nombreuses que les hommes à recourir à la télé- consultation (62 % vs 38 %).
Peu importe la solution de téléconsultation adoptée, celle-ci est utilisée essentiellement pour des affections aiguës bénignes comme des otites, des angines, des syndromes grippaux, certaines douleurs, des gastro-entérites, des cystites ainsi que pour des renouvellements d’ordonnance.
Une solution aux déserts médicaux…
« Depuis août dernier, les téléconsultations explosent dans notre pharmacie… car c’est la catastrophe, il n’y a plus de médecins ! » Les mots de Hugo Serra, pharmacien adjoint de la pharmacie du Champs-de-Mars, à Pont-Saint-Esprit dans le Gard, sonnent comme un cri d’alarme. « Deux médecins qui prenaient en charge une partie importante de notre patientèle sont déjà partis et deux autres vont prendre leur retraite à la fin de l’année. » Son officine est équipée depuis mi-2020 d’une cabine de téléconsultations Tessan. Si elle en faisait déjà 80 par mois en moyenne en 2021, le nombre a presque triplé avec une moyenne de 220 par mois en 2022. « Avant, les patients utilisaient cette solution essentiellement pour les petits tracas du quotidien (angine, otite etc.). Maintenant, ils viennent également pour le renouvellement d’ordonnances liées à des pathologies graves. Les médecins encore présents sont débordés et dans l’incapacité de répondre à la demande. »
Les patients apprécient ce nouveau service qui les dépanne vraiment car ils n’ont pas d’autres solutions. Les consultations se font pour 99 % d’entre elles avec un médecin généraliste et le temps d’attente fluctue beaucoup : en effet, « cela peut tout aussi bien être moins de 10 minutes comme 40 minutes d’attente, voire beaucoup plus ».
Pour Florence Marc, titulaire de la pharmacie Marc, à Montmedy dans la Meuse, l’utilité de la solution de téléconsultation installée par Maiia en mars 2021 s’est progressivement révélée très utile. « Au départ, j’en faisais 2 à 3 par mois car j’évitais de trop communiquer sur ce service pour ne pas faire d’ombre aux médecins. Aujourd’hui, sur quatre médecins généralistes, deux sont partis l’année dernière et un autre va prendre sa retraite. En un an, notre zone a basculé en désert médical ». Aujourd’hui, sa pharmacie réalise une dizaine de télé- consultations par mois et elle est assurée de conserver ce service pour sa patientèle. « Malheureusement, pendant une dizaine d’années, le temps que les futures promotions forment des médecins généralistes, la téléconsultation va être notre seule solution », déplore-t-elle. De son côté, Florence Normand, titulaire de la pharmacie Normand, dans les Pyrénées-Orientales à Céret, explique également l’augmentation des téléconsultations dans sa pharmacie par le manque de médecins. « Depuis mars 2021, date de l’installation d’une borne Medadom, nous sommes passés d’une dizaine à une vingtaine de téléconsultations par mois, essentiellement grâce au bouche-à-oreille ».
Actuellement, près de 6 millions de patients français n’ont plus de médecin traitant. D’une part, les nouvelles installations ne compensent pas toujours les nombreux départs à la retraite depuis 2010 et cela devrait s’aggraver ; les médecins âgés de plus de 60 ans représentant 50,4 % de
l’ensemble des inscrits à l’Ordre des médecins, contre 30,7 % en 2010. De plus, le volume des retraités (actifs ou non) a augmenté de 75,5 % (vs 2010). D’autre part, on constate un intérêt moindre pour le libéral, notamment chez les nouvelles générations. Bien que la grande majorité des départements français ait une part plus importante de médecins exerçant leur activité en libéral ou mixte, certains départements ont davantage de médecins salariés. Ils représentent 63,2 % en Val-de-Marne, 62,2 % pour la ville de Paris, et 56,7 % en Seine-Saint-Denis.
Les déserts médicaux sont une réalité contrastée sur notre territoire. Au sein d’une même région, de grandes différences existent entre les départements.
À titre d’exemple, la région Pays de La Loire concentre une hausse des effectifs (+1,1 %) sur tous ses départements, exception faite de la Vendée (-2 %) et de la Sarthe (-2,5 %).
À l’échelle départementale, en 2021, 64 départements ont connu une baisse du nombre de médecins en activité régulière par rapport à la même période l’année précédente, contre 54 en 2020. En ce qui concerne la répartition des télé- consultations en France, trois régions se détachent, avec des scores supérieurs à 10 %. Largement en tête avec 25 % : l’Île-de-France. En deuxième et troisième positions : les Hauts-de-France avec 14 %, puis la région Auvergne Rhône-Alpes avec 12 %.
…et complémentaire à la médecine de ville
Ce n’est pas par manque de médecins à proximité de son officine que Romain Dallot, titulaire de la pharmacie de la Liberté, à Bègles en Gironde, a installé une borne Medadom dans sa pharmacie. « J’ai mis en place la téléconsultation dans ma pharmacie d’un commun accord avec les médecins. Elle vient essentiellement assurer les plages horaires où ils sont fermés et lorsque leurs carnets de rendez-vous sont pleins. C’est la raison pour laquelle nous n’en réalisons qu’une dizaine par mois, surtout les samedis. Les patients sont satisfaits : c’est efficace, en dix minutes, ils ont une réponse ».
De son point de vue, l’utilité de la borne dépend de l’usage qu’en fait le pharmacien. Son utilisation devrait être différente selon la densité médicale du bassin de population. « Nous pourrions faire beaucoup plus de téléconsultations pour des renouvellements d’ordonnance, des prescriptions d’hypnotiques etc. Cependant, nous voulons que cela reste un service proposé au cas par cas lorsque nous trouvons qu’elle répond à la problématique du patient. Il faut que le patient conserve le lien avec son médecin ».
Quelques freins existent
Si pharmaciens et patients sont satisfaits du service rendu par la téléconsultation, il existe néanmoins quelques freins. Les difficultés techniques liées à la qualité de connexion internet, côté pharmacien et côté médecin, en est un. Ainsi, Florence Marc déplore que la mauvaise connexion internet rende l’utilisation des objets connectés difficile par moments. Également dénoncé, le temps pris par ce service au détriment du conseil et de la vente au comptoir.
Hugo Serra aide systématiquement les patients pour une téléconsultation. « Il faut déjà les mettre en place en leur créant un compte personnel, ce qui nous prend un temps fou. Puis, parfois ça marche, parfois ça ne marche pas… Tantôt c’est un problème de connexion, tantôt ce sont les objets connectés qui sont défaillants car les gens ne sont pas très délicats lorsqu’ils les utilisent ».
Enfin, ce service n’est pas rentable. « Vu le temps passé à côté du patient pour chaque téléconsultation, cela n’est pas viable. C’est avant tout pour rendre service. Un point est néanmoins positif : je récupère des ordonnances de patients qui ne venaient pas dans ma pharmacie », déclare Florence Marc.
Pour Hugo Serra, les patients repartent avec une petite ordonnance composée d’un ou deux médicaments la plupart du temps. « Ce n’est donc pas l’ordonnance qui va rentabiliser la cabine. On ne le fait pas pour l’aspect financier. Notre but est de donner la meilleure réponse possible au patient à un moment donné », conclut Romain Dallot.
Les trois grands acteurs du marché
Fin 2021, Tessan équipait 400 pharmacies de cabines ou de bornes, et projette d’être présent dans 1 000 officines d’ici fin 2022. Le nombre de téléconsultations effectuées est, en moyenne, de 70 par mois. Aujourd’hui, Tessan dispose d’un réseau de 70 médecins généralistes et 35 spécialistes totalement dédiés à la téléconsultation. De nouveaux dispositifs médicaux connectés en lien avec différentes spécialités sont en développement (spiromètre, ECG, glucomètre). Le temps d’attente moyen est d’environ 15 minutes.
Maiia équipe aujourd’hui 2 000 officines d’un kit de téléconsultation composé d’un ordinateur et d’objets connectés, ou bien du « pack » téléconsultation plus agenda électronique.
Depuis mars 2022, cette offre est enrichie d’une borne. D’après Jean Von Polier, directeur de projets chez Cegedim, « nous pourrons facilement atteindre les 4 000 pharmacies d’ici deux ans ». La grande force de Maiia est incontestablement les 20 000 médecins (dont 5 000 spécialistes) avec lesquels elle travaille. Autre avantage : pouvoir choisir un médecin sans rendez-vous en fonction de leur agenda électronique actualisé en temps réel.
Avec 2 000 bornes et cabines implantées en pharmacies sur le territoire en 2022, Medadom dispose d’un réseau de plus de 200 médecins généralistes totalement dédiés à la téléconsultation. Cette start-up va enrichir son offre médicale avec des spécialités d’ici la fin de l’année. Le temps d’attente moyen pour une téléconsultation ? 10 minutes. « Medadom a déjà effectué 600 000 téléconsultations à ce jour et vise les 3 millions avant la fin de l’année prochaine », résume Nathaniel Bern, cofondateur de la plate-forme.